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qui priait les Parisiens d’excuser son « ignorance » et sa « naïveté, » n’était pas sans ressembler à Renan par son tour d’esprit et par plusieurs traits de sa destinée. « Je ne suis pas un homme de lettres, disait ce dernier, je suis un homme du peuple ; je suis l’aboutissant de longues files obscures de paysans et de marins. » Remplacez : marins par terriens, et soyez sûrs que M. Jules Lemaître s’approprierait volontiers ces lignes. « Je suis du peuple, » nous dira-t-il lui-même un jour. Il faut, pour être complet, s’empresser d’ajouter qu’il est un rural. Né en 1853 à Vennecy, dans un village du Loiret, par toutes ses hérédités lointaines il appartient à cette race aimable et sensée, patiente et un peu narquoise, ennemie des folles équipées et des imaginations aventureuses, fermement attachée au coin du sol qui l’a vue naître, et qui parle d’instinct un si joli français.


Les bonnes gens de chez nous
Ont peu de science,
Mais de l’esprit presque tous
Et de la vaillance.
Ici plus d’un travailleur,
Vrai Gaulois, garde en sa fleur
Le bon sens libre et railleur
De la vieille France.


Il y a, n’en doutez pas, en Jules Lemaître, un fond de vigneron tourangeau ; et c’est pour cela, j’imagine, qu’il s’est, à tout prendre, montré plus indulgent à Rousseau qu’à Chateaubriand ; les morts, une fois de plus, ont parlé. Aussi, comme il l’aime, sa « petite patrie, » condition et fondement de la grande ! Avec quelle joie il y retourne chaque année, pour « de longs séjours ! » Comme il s’y retrouve bien chez lui ! Comme il s’y purifie, s’y repose et s’y « apaise ! » Comme il est heureux d’avoir « un village à soi, » de se sentir « presque invulnérable derrière ses peupliers ! » « Le peu que j’ai de sagesse, de douceur d’âme et de modération, je le dois à ceci, qu’avant d’être un homme de lettres (hélas !) qui exerce son métier à Paris, je suis un paysan qui a son clocher, sa maison et sa prairie. » Observez-le, une autre fois, lisant Loti, « serré contre la terre maternelle : » et voyez-vous le geste instinctif du « terrien » qui a peu de goût pour l’exotisme, et qui s’attache d’autant plus étroitement à la terre natale, comme pour y chercher abri et refuge ?