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La campagne de chez nous
A le charme intime.
Point de paysages fous,
Point d’horreur sublime :
Mais des prés moelleux aux pieds ;
Petits bois, petits sentiers,
Et des rangs de peupliers
Dont tremble la cime.


La nostalgie de cet aimable paysage le poursuivra partout. Si par hasard il va vivre quelque temps « en Alger, » « sous le blanc soleil qui rend fou, » il rêvera invinciblement d’une nature plus douce et plus humaine, celle précisément sur laquelle se sont ouverts ses regards d’enfant :


Oh ! sous la lumière sereine,
Oh ! dans les demi-jours soyeux,
Le vert tendre de la Touraine,
Doux et rafraîchissant aux yeux !…


Personne, — non pas même Ronsard et Du Bellay, — n’a célébré, disons mieux : n’a chanté en termes plus émus la grâce un peu molle de cette nature, — terra molle e lieta e dilettosa, disait le Tasse, — l’azur clément de son ciel, et jusqu’aux caprices de son fleuve. Mais pourquoi redire fort mal ce qu’il a, lui-même, admirablement dit, — dans une prose rythmée qui est parfois l’écho de sa propre poésie ?


La nature a chez nous l’ondoiement et la grâce, quelque chose qui rit, qui flotte et se renouvelle. Elle caresse et n’éblouit pas. Elle a des coins intimes qui engagent, qui accueillent et qu’on dirait intelligens. Bénis soient les coteaux modérés, les saules, les peupliers et les ruisseaux de la Touraine ! La Cybèle orientale est dure, fixe, métallique, insensible et semble avoir moins de conscience que celle de chez nous[1]


Nous tenons là, n’en doutons pas, l’une des origines, et la

  1. Contemporains, t. II (Leconte de Lisle), p. 40. — Ces lignes sont la reprise, à peine diversifiée, de quelques vers des Petites Orientales :

    Mais là-bas, au pays, la terre est maternelle :
    La Nature a chez nous ta grâce et l’ondoiment.
    Quelque chose qui flotte et qui se renouvelle,
    Et des vagues contours le mystère charmant.
    ……………….
    Et je veux vous revoir, ô ciel changeant et tendre,
    Coteaux herbeux, petits ruisseaux, coins familiers.
    Saules, je vous désire ! et je veux vous entendre,
    Chuchotemens plaintifs des tremblans peupliers.

    (Nostalgie, Poésies, éd. actuelle, p. 172-173.