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L’enfant promettait. A dix ans, on l’envoya à Orléans, au petit séminaire de Sainte-Croix, pour y commencer ses études, qu’il termina au petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs, à Paris. Nouvelle ressemblance avec l’auteur de la Vie de Jésus : M. Jules Lemaître a été élevé par des prêtres. Est-il vrai qu’il les ait parfois un peu inquiétés, ces prêtres qui lui ont révélé Veuillot, et qu’ils lui aient prédit la destinée d’un nouveau Renan ? Je ne sais, et il est possible. Mais il est plus sûr encore que cette éducation « cléricale » l’a marqué de son « empreinte : » elle lui a, tout au moins, donné le goût, l’heureux goût de la casuistique et de l’analyse morale ; et s’il est vrai, comme l’a dit bien profondément Joubert, que « les cérémonies du catholicisme plient à la politesse, » ce qu’il y a d’avenant, d’aimable et de délicatement insinuant dans la manière de l’auteur des Contemporains ne lui viendrait-il pas, en partie, de ses années de collège ? Allons plus loin : rappelons-nous que le souple et ironique écrivain qui a fait jouer l’Aînée n’a jamais été tendre pour les protestans, « nos frères sans grâce, » comme il les a qualifiés un jour, et, d’autre part, que le voltairianisme n’a jamais été son fait. Je crois sentir à chaque instant chez M. Jules Lemaître, et parmi même ses fantaisies les plus audacieuses, un tour d’esprit et d’imagination catholiques, un fond persistant de sensibilité chrétienne. « C’est dans une école ecclésiastique, — a-t-il écrit d’Anatole France, — qu’il a passé son enfance, ce qui est, je crois, un grand avantage, car souvent les exercices de piété y font l’âme plus douce et plus tendre ; la pureté a plus de chance de s’y conserver, au moins un temps, et (sauf le cas de quelques fous ou de quelques mauvais cœurs), quand plus tard la foi vous quitte, on demeure capable de la comprendre et de l’aimer chez les autres, on est plus équitable et plus intelligent. » « Dans le fond de votre cœur, aujourd’hui encore, il subsiste une sorte de cité de Dieu, que vous n’habitez plus, mais où vous ne souffrez pas qu’on pénètre le sourire aux lèvres. » Ainsi parlait le fin Gréard, un jour de réception académique. Cette cité de Dieu, est-il bien sûr que l’enfant qui, un jour de Fête-Dieu, « beau, frisé comme un mouton, représentait le petit saint Jean-Baptiste et conduisait devant le dais un petit mouton vivant, » est-il bien sûr qu’il ne l’ait plus jamais habitée ?

À cette discipline intérieure, la vie allait en surajouter une