Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il en va tout autrement sous les derniers Valois, lorsque l’on alloue à chacun de ceux de l’écurie du Roi, que l’on met « hors de pages, » 1 000 francs « pour s’armer et se monter. » Ce sont alors des nobles de familles pauvres ; la France en était pleine, l’anarchie du XVe siècle avait fait bien des « nobles mendians. » Quelques-uns entraient dans la petite judicature ou dans des professions manuelles, sans cesser pour cela, — au moins dans le Midi, — de se qualifier gentilshommes. A Sisteron les Valavoire, chevaliers croisés au XVe siècle, sont représentés au XVIe par plusieurs générations de « nobles chaussetiers, » puis reparaissent pour exercer de grandes charges sous Louis XIV, avant de s’éteindre au XVIIIe siècle.

Veulent-ils embrasser le métier des armes avec plus de scrupule que le jeune Lesdiguières, qui emprunte une jument à un hôtelier de son pays et part sans laisser de ses nouvelles, ces prolétaires de l’aristocratie « se donnaient » à un riche seigneur. Toiras, qui devint maréchal de France et gouverneur d’Auvergne, avait ainsi commencé chez le marquis de Courtenvaux, « vivant de son pain, montant ses chevaux et faisant chasser ses chiens. » Être « nourri page » dans une grande maison et en porter la livrée, qui n’avait encore rien de bas, fut à cette époque le début de beaucoup d’illustres fortunes. Albert de Luynes était, de 21 à 28 ans, jusqu’en 1606, aux gages de la comtesse du Lude, à 2 130 francs par an ; son frère Branles fut huit ans au même service, quatre ans page et quatre ans gentilhomme, aux appointemens de 1 420 francs.

Les seize pages qui composaient, sous les ordres d’un gouverneur, la « grande écurie » de Richelieu étaient tous fils de comtes et de marquis, servis par douze valets et soumis aux leçons de trois maîtres d’escrime, de danse et de mathématiques. À cette ascension des pages royaux et assimilables correspondit, chez les simples particuliers, la fureur de donner cette qualité à des gamins quelconques, et tel, qui ne pouvait s’offrir des pages en chair et en os, imagina d’en avoir en effigie, remplis de foin, attachés derrière son carrosse, pour se montrer au Cours-la-Reine ; dût-il s’exposer, comme Chambonnières, à ce que les chevaux du carrosse suivant, attirés par l’odeur du loin, tandis que la file des voitures lentement avançait, se missent à déchirer les jambes de ce mannequin, à la grande confusion du propriétaire.