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par l’extérieur, plus que par les qualités intérieures. Qui passera de nous deux ? Qui cédera la place à l’autre ? Le moins habile ? Mais je suis aussi habile que lui. Il faudra se battre sur cela. Il a quatre laquais et je n’en ai qu’un ; cela est visible, il n’y a qu’à compter : c’est à moi à céder, et je suis un sot si je conteste. »

Le laquais jouait donc encore, au temps de Pascal, un rôle qu’il ne joue plus dans l’existence de son maître : il servait à mesurer son rang. Ces laquais, dont beaucoup étaient armés, bien qu’on le leur ait souvent défendu, constituaient le dernier vestige de la « seigneurie » féodale, de la force particulière. Ils étaient une dignité, tandis qu’ils ne sont aujourd’hui qu’une commodité ; ils ont cessé de porter l’épée ; seuls quelques huissiers officiels conservent ce fer innocent.

Quant aux troupes de serviteurs décoratifs que les riches actuels, aux jours de gala, alignent dans leurs antichambres ou sur leurs escaliers, la plupart sont loués pour endosser un soir des livrées éclatantes et des perruques poudrées qui seront remisées le lendemain dans les armoires ; faits pour contribuer à l’élégance d’une fête comme des lumières ou des fleurs, ils ne sauraient augmenter le prestige de l’amphitryon aux yeux de ses hôtes. Chez ceux mêmes de nos contemporains qui ont le plus de domestiques, il n’y a guère dans l’ordinaire de la vie de domestiques purement pompeux. Les trois et quatre valets de pied qui se tenaient serrés l’un contre l’autre, accrochés aux courroies derrière le carrosse, ont été réduits d’abord à deux avec les coupés et berlines à housse : puis à un seul, assis sur le siège. Il n’est resté de l’ancien usage que la formule du pluriel, pur laquelle on demande « les gens. »

Tel duc et pair, dont la dépense annuelle en 1788 s’élevait à 300 000 francs, avait, sous les ordres de son maître d’hôtel, 3 valets de chambre, 4 valets de pied, un frotteur, un chasseur, un nègre, une femme de charge, 2 femmes de chambre, 2 filles de garde-robe, sans parler du personnel de la cuisine, de l’office et des écuries ; son petit-fils, le duc actuel, bien que sa fortune soit très supérieure et qu’il dépense davantage, se contente d’un train beaucoup moindre. Si l’on pouvait multiplier de pareilles comparaisons, on verrait que le fait est général.

Sous Louis XM pourtant, ce genre de luxe avait déjà beaucoup décru ; une dame n’était plus suivie à la promenade, comme au temps de la Fronde, d’un groupe de laquais portant