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V

L’histoire des relations du Maroc avec les puissances européennes depuis 1870 est encore mal connue. Les intrigues rivales s’y entre-croisent, s’y embrouillent, s’y contrecarrent ; elles sont habilement mises à profit par la diplomatie subtile du Maghzen pour maintenir un équilibre qui éloigne la seule échéance qu’il redoute, l’établissement de l’influence exclusive d’une grande puissance. Nous ne chercherons pas à élucider cette histoire. Mais quand les archives parleront, elles mettront en lumière quelques traits qui, à la condition de ne pas serrer de trop près les détails, peuvent être tenus dès à présent pour acquis. Il est nécessaire, pour l’intelligence des relations franco-allemandes en ces dernières années, de préciser ces faits dans la mesure du possible.

De 1870 à 1898, la politique de la France à l’égard du Maroc est toute de prudence, d’expectative, de conservation. Elle s’efforce de réserver le problème, non de le résoudre, car il est compliqué et délicat, non seulement à cause de l’importance intrinsèque du pays, de ses populations nombreuses, belliqueuses, mais surtout à cause de sa situation géographique qui entraîne, dès qu’on y touche, des répercussions européennes. La question du Maroc est grevée, par la présence des presidios, d’une hypothèque espagnole ; elle est grevée, par la proximité de Gibraltar, d’une question du détroit où l’Angleterre est intéressée au premier chef, et, avec elle, toutes les nations maritimes et commerçantes. Avant de l’aborder, il faut l’isoler, résoudre tous les litiges africains, couper les routes par où le Maroc communique avec le Soudan, laisser le Maghreb comme le dernier noyau impénétrable à la civilisation européenne. Plutôt que d’aboutir à une solution boiteuse, la France préfère temporiser, pourvu qu’elle puisse sauvegarder l’indépendance du Maroc et la souveraineté du Sultan. Sa diplomatie a le rôle du chien de garde. La conférence de Madrid (1880), où les délégués allemands reçurent l’ordre de marcher d’accord avec les nôtres, est un premier pas vers l’internationalisation du Maroc ; c’est une mesure conservatoire, en face de l’influence anglaise grandissante. Après la mort de Mouley-el-Hassan (7 juin 1894), — c’était quelques jours après l’entrée aux