Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Notre politique et celle du Maghzen s’employèrent d’ailleurs à les neutraliser les uns par les autres. Déjà Bismarck avait porté son attention du côté du Maroc ; en 1888, une ambassade marocaine conduite par El-Mokri vint à Berlin, tandis qu’au Maroc, le comte de Tattenbach, — ce sont les mêmes acteurs qui reparaîtront quinze ans plus tard, — négociait un traité de commerce (1890) qui assurait des avantages particuliers à l’Allemagne. Cette politique d’action au Maroc, qui alarmait les Anglais, paraît bien avoir été l’une des causes occasionnelles de la brouille de Guillaume II et du chancelier. Peu de temps après la chute de Bismarck (15 mars 1890), un traité (1er juillet) règle la plupart des questions de voisinage entre l’Angleterre et l’Allemagne en Afrique. Les tendances du comte de Caprivi sont anglophiles : elles empêchent le comte de Tattenbach de profiter de l’ascendant qu’il a su conquérir sur le Maghzen. Cette contradiction entre le succès, sur place, du ministre allemand et l’orientation générale de la politique de Guillaume II, conduit l’Allemagne à chercher, avec l’Angleterre, une solution amiable. C’est ainsi que, vers 1895, à l’instigation de l’Allemagne, mais sur la demande de Crispi, aurait été envisagé un projet de protectorat italien au Maroc[1]. C’eût été une belle revanche de la déconvenue de Tunisie ! L’Italie, membre des deux triplices (Triple-Alliance continentale, Allemagne-Autriche-Italie, — Triple-Alliance méditerranéenne, Angleterre-Espagne-Italie) était en excellente situation pour obtenir quelque gros avantage. Elle trouva, peu de temps après, Adoua (1er mars 1896). Son rôle au Maroc, était fini. Le rappel du comte de Tattenbach (décembre 1896) signifie que l’activité allemande va s’effacer, au Maroc, devant l’influence anglaise. L’influence de sir Arthur Nicholson, du caïd Mac-Lean et de M. Harris, l’emporte décidément auprès du Maghzen. El-Menebhi, un parvenu, qui, après la mort de Ba-Ahmed, devient le favori d’Abd-el-Aziz, est d’autant plus dévoué aux Anglais qu’à cette époque la France pratique une politique moins timide dans les confins algéro-marocains, fait la conquête d’In-Salah 1899-1900), et coupe les communications du Maroc avec le Soudan.

  1. Le projet est exposé dans les Débats du 30 décembre 1905, qui reproduisent un article de M. Vico Mantegazza dans le Giornale d’Italia. Il y eut, en septembre 1895, un brusque voyage du ministre d’Italie, M. Gentile, à Fez où il se trouva avec M. de Tattenbach et le ministre anglais. Cf. Victor Bérard, l’Affaire marocaine, p. 61 (A. Colin, in-16).