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anglaise sur les mers et dans les colonies, l’hégémonie allemande en Europe ; nous avions résisté, par un jeu de bascule bien conduit, à l’une et à l’autre. A partir de 1895 et surtout à partir de l’avènement d’Edouard VII, une ardente rivalité grandit entre elles. En 1904, nous jugeons le moment venu de nous entendre avec l’Angleterre et nous liquidons, avec elle, tous nos litiges. Dès lors, il se trouve que c’est la résistance à la poussée allemande qui passe au premier plan et, l’Angleterre étant une île, la Russie étant engagée en Extrême-Orient, c’est notre armée qui passe en première ligne au moment où nous sortons à peine de l’affaire Dreyfus, où nous avons, pour ministres de la Guerre et de la Marine, MM. André et Pelletan.

Le Maroc est l’objet de notre transaction avec l’Angleterre. Le Maroc va donc devenir, par la logique des événemens, le point sensible où la nouvelle entente pourra être attaquée. L’Allemagne, qui a essayé à diverses reprises de s’y créer des droits, va naturellement porter l’effort de sa politique de ce côté-là : le Maroc va devenir une « surface de friction. » Comment avions-nous procédé, en 1881, pour la Tunisie ? Nous n’avions rien fait sans nous être assurés des bonnes dispositions des deux puissances qui étaient assez fortes pour entraver nos projets ; elles nous avaient spontanément assurés de leur bon vouloir en 1878. Résolu à agir, Jules Ferry ne s’arrête ni au mécontentement de l’Italie, ni à la mauvaise humeur de l’Angleterre dont il possède, dans son dossier, des engagemens formels ; mais il se tient, jour par jour, au courant des dispositions de l’Allemagne ; il veut être assuré que, tandis qu’il sera engagé en Afrique, aucun incident, aucune pression, ne se produira sur la frontière de l’Est. « Ceux qui écriront l’histoire de ce temps, écrit M. René Millet, trouveront aux Archives du ministère des Affaires étrangères, à côté de la correspondance officielle, trois liasses de lettres privées par lesquelles notre ambassadeur Saint-Vallier transmettait à son ministre les moindres propos du prince de Bismarck. » Ce fut la méthode qui présida à tout notre développement colonial jusqu’en 1898. Les « nécessités permanentes » de notre politique ne nous permettaient pas, sans nous exposer à des risques graves, d’en employer une autre. C’est pourtant une méthode contraire que suit M. Delcassé quand il veut s’engager au Maroc. Il cherche d’abord à obtenir le désintéressement de l’Italie et à partager avec l’Espagne ;