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puis il s’adresse à l’Angleterre au moment où celle-ci s’engage dans la phase la plus aiguë de sa rivalité avec l’Allemagne, et il s’entend avec elle. Mais, avec l’Allemagne, il ne négocie pas ou il négocie mal ; il se contente de lui communiquer son accord avec l’Angleterre. Le prince de Bülow déclare n’avoir rien à y objecter, mais, au moment où la mission de M. Saint-René Taillandier est à Fez et travaille à recueillir les bénéfices escomptés de la convention de 1904, l’empereur Guillaume II débarque à Tanger.

Ce sont des motifs d’ordre général, et non local, qui ont déterminé l’action diplomatique de l’Allemagne. Comme l’a dit plus tard le prince de Bülow, le Maroc a été, pour elle, « l’occasion d’une riposte nécessaire. » Les dispositions de l’Allemagne vis-à-vis de nous jusqu’à l’accord du 8 avril étaient bonnes. Le prince de Bülow, dans les premières années de sa présence à la chancellerie, ne se départait pas, vis-à-vis de la France, de l’attitude de ses prédécesseurs. Il affirmait que : « entre la France et l’Allemagne il n’y a, pas plus en Extrême-Orient que sur bien d’autres points, que sur la plupart des points du monde, de conflits réels d’intérêts. » Il affectait même de se désintéresser des accords franco-italiens relatifs à la Méditerranée : « Nous n’avons pas de pignon sur la Méditerranée. » Mais une série d’événemens vont modifier le ton. C’est d’abord, et surtout, l’accord du 8 avril 1904, avec tous les commentaires qu’il provoque dans certains journaux anglais et français qui exagèrent la portée de l’ « entente cordiale » et en font une manifestation, voire une menace, contre l’Allemagne, et le commencement d’une manœuvre d’enveloppement destinée à l’isoler. Le voyage de M. Loubet à Rome semble confirmer cette interprétation. Certains propos, probablement dénaturés par ceux qui les répètent, du ministre des Affaires étrangères, sont transmis à Berlin où ils irritent. Dès le 28 avril, vingt jours après l’accord franco-anglais, Guillaume II dit à Carlsruhe : « Pensons à la grande époque où fut créée l’unité allemande, aux combats de Wœrth, de Wissembourg et de Sedan. Les événemens actuels nous invitent à oublier nos discordes intérieures. Soyons unis pour le cas où, dans la politique du monde, nous serions contraints d’intervenir. » Même langage le 1er mai à Mayence, le 11 mai à Saarbrück. Les avertissemens impériaux se multiplient, tandis que la politique du chancelier reste expectante. Quand le 23 mars 1904,