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reprend le chemin de Paris, remportant son projet en poche[1].

De l’attitude de M. de Maurepas provient, en grande partie, ce qu’a de défectueux, d’inégal, d’incomplet, la grande réforme, la réforme d’ensemble, souhaitée par le directeur des Finances dans les Maisons royales. Les emplois abolis, comme on a pu le remarquer plus haut, ne visent guère que des subalternes, les petits parasites des cuisines et des écuries. Les charges les plus importantes et les plus coûteuses sinécures subsistent à peu près intactes ; les gros poissons s’échappent hors des mailles du filet ; seul est pris le menu fretin. Necker l’a reconnu et s’en est excusé, en rejetant la faute sur l’hostilité du Mentor. Il a raconté les dégoûts dont une guerre mesquine et sournoise abreuvait journellement son âme. Il faut l’entendre, sur ce point, dépeindre ses tristesses ; on ne peut lire sans émotion ces sincères confidences :

« Je me rappelle encore[2] cet obscur et long escalier de M. de Maurepas, que je montais avec crainte et mélancolie, incertain du succès auprès de lui d’une idée nouvelle dont j’étais occupé. Je me rappelle ce cabinet en entresol, placé sous les toits de Versailles, mais au-dessus des appartemens du Roi[3]. C’était là qu’il fallait entretenir de réformes et d’économies un ministre vieilli dans le faste et dans les usages de la Cour. Je me souviens de tous les ménagemens dont j’avais besoin pour réussir, et comment, plusieurs fois repoussé, j’obtenais à la fin quelques complaisances pour la chose publique, et les obtenais, je le voyais bien, à titre de récompense des ressources que je trouvais au milieu de la guerre. Je me souviens de l’espèce de pudeur dont je me sentais embarrassé, lorsque je mêlais à mes discours quelques-unes des grandes idées morales dont mon cœur était animé... »


Il serait pourtant excessif d’attribuer à la seule influence de Maurepas ce que l’on peut reprochera Necker de timidité dans ses actes, la disproportion qu’on observe entre les principes qu’il émet, les désirs qu’il proclame et les mesures qu’il réalise. Si l’on veut apprécier sainement et justement son œuvre, si l’on veut faire la part exacte de toutes les responsabilités, il faut

  1. Correspondance secrète publiée par Lescure.
  2. Note écrite par Necker, passim.
  3. C’étaient les appartemens jadis occupés par Mme du Barry et que l’on montre aujourd’hui sous ce nom.