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d’émotion en France et en Europe. Les faits sont encore trop récens pour qu’il soit nécessaire de les rappeler. Cette fois encore, l’Allemagne avait mal choisi son terrain ; il fut évident, dès le premier jour, que l’opinion européenne n’était pas avec elle. La lettre de Guillaume II à lord Tweedmouth et la fameuse interview du Daily Telegraph avaient suscité en Allemagne un mouvement de colère si caractérisé qu’il parut vraisemblable que le chancelier cherchait au Maroc une diversion. Des six déserteurs, trois passaient pour allemands (l’un d’eux fut plus tard reconnu français), un était autrichien. Dès le premier jour, le comte Khevenhüller vint déclarer spirituellement à M. Pichon : « Je ne réclame pas mon déserteur. » On put se demander à Paris si le Cabinet de Berlin ne cherchait pas l’occasion d’une rupture. M. Clemenceau et M. Pichon, appuyés par l’unanimité de la presse et de l’opinion, se montrèrent, en ces circonstances critiques, les fermes gardiens de la dignité d’un grand pays qui, certes, est pacifique, mais qui croit aussi qu’il est, pour un peuple, des malheurs pires que la guerre ; ils exposèrent avec sang-froid le point de vue français et acceptèrent, dès l’abord, un arbitrage. Dans les premiers jours de novembre, l’empereur François-Joseph, recevant à Vienne son allié Guillaume II, lui demanda, avec une insistance très remarquée, la promesse que l’incident n’aurait pas de suites fâcheuses. Tout s’arrangea en effet par des protocoles satisfaisans pour nous (protocoles des 10 et 26 novembre) et par une sentence arbitrale de la Cour de La Haye (22 mai 1909 ; protocole du 29 mai). Une bonne sentence arbitrale est celle qui ne fait pas de mécontens : celle-ci fut donc bonne. Il ne resta, de l’incident, que le souvenir d’un procédé peu amical de l’Allemagne et le réconfortant exemple d’une résistance à la fois ferme et conciliante du gouvernement français.

On était alors au début de la crise de Bosnie. Le prince de Bülow voyait venir le moment où il pourrait trouver en Europe une revanche de sa déconvenue d’Algésiras, reprendre son rôle de direction et ressaisir ses alliés. Il sentait le besoin, pour avoir les mains libres, d’alléger sa politique du poids mort des chicanes marocaines. D’autre part, « en affirmant sa capacité de résistance, la France avait manifesté sa capacité d’entente. » Dès le la novembre, le chancelier prononce un discours conciliant ; des conversations officieuses ébauchent le projet d’une