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classicisme, puisque aussi bien « rien n’est beau que le vrai, » et « il ne faut pas quitter la nature d’un pas » sont des formules classiques par excellence. Et les réalistes sont des classiques et les classiques de 1660 sont des réalistes. » C’est ce qu’a soutenu Brunetière avec insistance. Il a même appelé les classiques de 1660 des « naturalistes. » Il n’y a pas, selon moi, — et ici je suis avec M. Pellissier, qui est presque toujours sur la défensive du côté de Brunetière, — il n’y a guère, selon moi, d’erreur plus sensible ; et cela tient à l’idée tout à fait différente que les classiques d’une part et les romantiques d’autre part se sont faite de la vérité. La vérité pour les classiques est la vérité psychologique, et la vérité pour les réalistes est la réalité extérieure. Le classique, en général, étudie les caractères, les âmes, les cœurs, les passions, les vices, les travers, les grands et bons sentimens aussi, enfin le fond humain. Persuadé qu’à étudier tout cela on invente beaucoup plus qu’on ne voit et qu’on ne copie, le réaliste a une tendance à se passer de psychologie, comme a dit Zola ; et, d’une part, il se tourne vers les choses, pour quoi il a une sympathie toute particulière ; et d’autre part, quand il peint les hommes, il les peint presque comme des choses, s’attachant surtout à leur extérieur, à leurs gestes, à leurs attitudes, à tout ce qui en eux frappe les yeux ; et enfin quand il peint leurs passions, ce que son office l’oblige, après tout, à faire, il les peint sans nuances, sans détail, comme de grosses forces naturelles, lourdes et massives.

Le grand trait général dont les classiques peignaient les choses, c’est au monde psychologique que les réalistes l’appliquent, et le souci du détail que les classiques avaient en peignant les âmes, les réalistes le mettent à décrire minutieusement les choses. On ne peut pas plus précisément se tourner le dos.

Une chose, et singulièrement importante, rapprocherait peut-être le réalisme du classicisme. Malgré le soin que prend le réaliste de s’interdire de penser, il est en général très pessimiste, et le classique ne laisse pas de l’être aussi, assez souvent. Racine, Boileau, Molière, La Bruyère, La Fontaine même sont hommes qui ne voient en beau ni le monde, ni l’humanité, et si Corneille nous présente quelques hommes qui honorent le genre humain et le montrent capable de choses miraculeuses, il ne faut pas oublier que la plupart de ses personnages ne sont pas