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autre chose que de grands bandits historiques, très analogues aux héros de Crébillon père. Voilà certainement le point de parentage. Seulement il faut ajouter que le réaliste a le plus souvent comme un véritable plaisir, et que l’on sent bien, à peindre ainsi l’humanité, tandis que le classique la peint ainsi comme contraint et forcé et marque très souvent, même Molière, une vraie satisfaction à rencontrer un trait de courage, de vertu et de grandeur d’âme. En d’autres termes, qui seront peut-être meilleurs, le pessimisme du réaliste est systématique et celui du classique ne lest point du tout ; le classique est pessimiste par respect douloureux pour la vérité, parfois peut-être même par religion et par persuasion que l’homme, foncièrement mauvais, ne peut devenir bon que par l’effet d’une intervention divine ; le réaliste est un pessimiste radical et secrètement satisfait, qui se réjouit malignement de trouver l’homme mauvais, et qui, malgré sa prétendue soumission à l’objet, ne laisse pas de trouver l’homme ainsi fait parce qu’il le fait tel.

Les différences, quelque grandes qu’elles soient entre le réaliste et le romantique, sont donc tout aussi profondes entre le réaliste et le classique.

Il y a trois écoles, il y a trois tempéramens, le dernier aussi irréductible au second qu’au premier et au premier qu’au second.

M. Pellissier, j’y reviens, veut au moins que le réalisme tienne plus du romantisme que du classicisme. Je ne puis voir ainsi. Le souci de la vérité compterait pour rapprocher le réalisme du classicisme, si, à ce souci de la vérité le romantisme était resté fidèle ; mais on ne peut vraiment soutenir qu’il l’ait été. Le souci de la vérité compterait pour rattacher le réalisme au classicisme, si pour classiques et réalistes il s’agissait de la même vérité ; mais nous avons vu qu’il n’en est rien. Et contre Brunetière je cherche à montrer ce qui distingue fondamentalement le réalisme du classicisme, et contre M. Pellissier je cherche à montrer ce qui fait abîme entre le réalisme et le romantisme. Oui, il y a bien trois écoles irréductibles chacune aux autres.

Il va sans dire que, pour reprendre le joli mot de Mme de Rémusat, on n’est jamais exclusivement ce qu’on est surtout et que l’on n’est jamais classique, ni romantique, ni réaliste sans mélange, ce qui est précisément ce qui permet de rattacher telle