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école à telle autre par des liens qui ne sont pas entièrement artificiels. Emile Deschanel a extrait beaucoup de romantisme des classiques par la bonne raison, ou spécieuse, que les classiques ont de la sensibilité et de l’imagination, et que tout ce qui était sensibilité et imagination, il l’appelait romantisme. Tout de même, et c’est l’intérêt de son livre, M. Pellissier trouve du réalisme et quelquefois même du véritable dans les poètes et romanciers romantiques. Seulement, à mon avis, ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder. Il est rationnel d’appeler romantique l’auteur qui est le plus souvent romantique, réaliste l’auteur dont le tempérament général est réaliste ; et alors, ce qui sera intéressant, c’est de découvrir des auteurs qui, en temps classique, ont été romantiques, ou ont été réalistes, et des auteurs qui, en temps romantique, ont été classiques ou réalistes et ainsi de suite.

Cette méthode, M. Pellissier l’a du reste employée aussi et à sa suite j’indiquerai, une fois de plus, que le XVIIe siècle a compté des romantiques comme Théophile de Viau et Saint-Amand (et en général presque toute la littérature de Louis XIII) et des réalistes comme Sorel et Furetière et même, quoi qu’en dise M. Pellissier, comme Scarron, de qui les peintures du monde provincial dans le Roman comique ont un véritable cachet de vérité. De même le XIXe siècle a ses classiques jusqu’en 1850 et 1860 avec Déranger et Veuillot, et il a ses réalistes depuis 1825, qui s’appellent Sainte-Beuve et Théophile Gautier jeune. Sainte-Beuve était très fier d’avoir inventé cette « humble vérité » dont on devait faire tant d’état un demi-siècle plus tard, et c’est-à-dire la peinture des douleurs obscures et des modestes et timides joies et des modestes et timides intérieurs. De même Gautier débuta par des vers plats, intentionnellement ou non, et il n’y a pas révolution plus radicale que celle qu’il réalisa, très peu de temps, à la vérité, plus tard, sur lui-même.

En cette affaire, ce qu’il y a de plus intéressant et attirant, ce sont ceux qui font transition. Aussi M. Pellissier s’est-il, très judicieusement, attaché à eux. Il n’entrait ni dans son dessein, ni dans son plan, de s’attaquer à ceux qui font transition entre le classicisme et le romantisme, puisque ce qu’il voulait, c’était montrer le réalisme sortant des parties réalistes du Romantisme. Aussi ne nous a-t-il parlé ni de Rousseau, ni de Bernardin