Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvant extirper l’abus, il voulut le réglementer. Quatre édits successifs, rendus en l’espace de trois ans, posèrent quelques principes d’une incontestable sagesse. Un tableau général dut être dressé chaque année, qui mettrait sous les yeux du Roi la liste des pensions et celle des extinctions, en regard l’une de l’autre. Ainsi pourrait-on désormais établir une balance et connaître dans quelle mesure les largesses consenties chargeraient le Trésor. Necker fit ensuite décréter que la Chambre des Comptes fixerait annuellement, et d’après ces données, le chiffre maximum des grâces et des pensions que chaque ministre proposerait au Roi pour son département. Pour compenser ces prudentes restrictions, toutes les pensions, tant anciennes que nouvelles, furent solennellement déclarées « incessibles et insaisissables ; » les titulaires furent avertis qu’ils pourraient compter à l’avenir, eu toute sécurité, sur la totalité du revenu alloué. C’est le principe fondamental qui, de nos jours encore, régit toute la matière ; à Necker revient le mérite de l’avoir proclamé.


Pour être insuffisante, la réforme n’en est pas moins louable. On ne peut autant admirer l’application qui en fut faite. Ni les freins ingénieux inventés par Necker, ni la bonne volonté du Roi, rien ne put prévaloir contre les mœurs et les préjugés séculaires, contre l’insouciance de Maurepas, contre l’avidité des uns et la mollesse des autres. Devant les réclamations virulentes ou les supplications de ceux qui vivent dans les entours du trône, Louis XVI se montre désarmé. A chaque requête qu’on lui apporte, il « chicane » un moment, soupire, et finit toujours par céder. Pour en fournir la preuve, nul témoignage ne vaut contre celui des faits, et la liste en est accablante. En 1778, la sœur du Roi, Madame Elisabeth, âgée de quatorze ans, voit sa dépense annuelle augmentée de 108 000 livres ; l’année suivante, son inoculation est payée 20 300 livres à ses médecins et chirurgiens. En 1779, les dettes du Comte d’Artois, d’après une estimation détaillée, se montent à dix millions de livres, dont une partie est soldée par Louis XVI, au moyen d’une augmentation des apanages concédés à son fière. L’éducation des enfans du même prince coûte au Trésor royal 770 000 livres par an. De mars 1778 au 1er avril 1781, le total des pensions nouvelles constituées par le Roi, pour récompenser