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A l’apparition de ces magnifiques escadrons qui s’avancent sous la grêle des obus de Gunstett, imperturbables, les casques luisant au soleil pour la dernière fois, ébranlant la terre de leur galop, les Prussiens sont surpris et comme paralysés, le feu cesse ; il y a un moment d’attente terrifiante. La brigade formée en colonne par pelotons ou escadrons charge avec furie ; le plateau est balayé en un instant. Mais, par suite d’une erreur, au lieu de se retirer à droite pour tourner l’ennemi, elle s’abat à gauche, et l’abordant en face, descend comme un tourbillon à travers les houblonnières, vers Morsbronn. Les Prussiens, qui se sont ressaisis, ne se forment pas en carrés ; ils se déploient en tirailleurs, à l’abri des houblonnières, ils visent à coup sûr les cuirassiers qui passent devant eux. On entend le tintement des balles sur les cuirasses, semblable à un choc de grêle sur des vitres ; les deux tiers des chevaux tombent et roulent sur leurs cavaliers ; ceux qui n’ont pas été blessés ou tués sautent sur le premier cheval à leur portée et, se plaçant à côté de ceux qui n’ont pas été démontés, se ruent à droite et à gauche de l’infanterie, renversent une partie d’une compagnie et essaient de revenir vers Eberbach en traversant Morsbronn de l’Est à l’Ouest. Dans le village comme à la sortie, ils sont poursuivis par un feu nourri. Ils vont toujours, mais, à chaque pas, quelqu’un tombe et leur nombre diminue. Ils s’enfuient, les uns vers Saverne, les autres à travers l’Eberbach, derrière notre droite.

Le 9e cuirassiers et le 6e lanciers furent plus éprouvés encore. Leur route avait été semée d’obstacles : les voilà immobilisés. Deux compagnies les criblent de leurs décharges. Les tirailleurs établis dans les vignes de chaque côté de la route les fusillent presque à bout portant : la colonne se change en une cohue d’hommes et de chevaux se heurtant, s’entassant les uns sur les autres. Cependant quelques cavaliers démontés écartent les obstacles et ceux qui ne sont pas déjà hors de combat essayent de s’échapper en traversant Morsbronn. Ils se lancent dans la rue qui s’ouvre devant eux. La rue est étroite, l’extrémité en est barrée, des tirailleurs sont postés aux fenêtres des maisons. Ils ne peuvent charger que des murs et ils restent là bloqués, cernés, on les abat comme des bêtes fauves dans un cirque. Le petit nombre de ceux qui réussissent à s’échapper descend en avalanche vers la plaine. Un régiment de hussards et l’infanterie venant de la Sauer les achèvent. N’échappe au désastre