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bastion miné de Malakoff : J’y suis, j’y reste. Toute sa vie, il a ordonné : En avant ! Il ne peut arracher de sa bouche le mot : En arrière ! Il ne tient pas compte de ce qu’il a perdu, il ne voit que ce qu’on ne lui a point pris. Rien ne l’ébranle : il a vu tomber à ses côtés, frappé d’une balle au cœur, son chef d’état-major, le général Colson et Raymond de Vogué, un de ses officiers ; d’autres vont les suivre : il y est, il y reste, et, debout, impassible sous les obus et les balles, il s’offre lui-même au sacrifice qu’il demande aux autres. D’une ténacité invincible, vaillant jusqu’à la folie, il appelle successivement à la rescousse tout ce qui n’est pas encore couché à ses pieds sur la terre ensanglantée (3 à 4 heures). Sur les masses grondantes et compactes de la victoire prussienne qui montent vers lui de Wœrth et d’Elsasshausen, il lance ces débris à des intervalles tellement rapprochés qu’on peut à peine les distinguer. Ils obéissent avec une ardeur qui, dans cette heure de désespérance, devient surhumaine. Qui sait ? ce dernier effort va peut-être permettre à Failly d’arriver !

A vous d’abord, les cuirassiers ! puisque votre tâche en cette journée doit être encore le grandiose dévouement. La division Bonnemain, composée de quatre régimens, commandée par le général Girard, à la place de Bonnemain malade, avait été obligée de changer plusieurs fois de place pour se soustraire à l’action des projectiles : elle était en arrière d’Elsasshausen lorsque, à trois heures, alors que les masses prussiennes étaient en train de s’emparer de ce village, Mac Mahon vient lui-même lui porter l’ordre de charger dans la direction de Wœrth. Il les lance, puis les tient en haleine ; deux escadrons du 4e régiment rétrogradent-ils, il leur crie : « Ce n’est pas là charger à fond ! » d’autres se replient-ils désemparés, il demande à leur général s’il peut encore charger. Ils répondent immédiatement à son appel : ceux qui ne sont pas partis s’élancent, ceux qui ont été refoulés repartent et chargent de nouveau. Mais qui ? des ennemis ébranlés ? des ennemis qu’on voit ? sur le corps desquels on tentera de passer ? Non, de même que leurs frères de Morsbronn, ils chargent des fossés, des houblonnières, des arbres. Les braves gens ne se ménagent pas ; les généraux Girard et de Brauer, les colonels Je Vandœuvre, Billet, Rosetti déploient ce qu’il y a de plus irrésistible dans la bravoure superflue. Le colonel Billet se met successivement à la tête de chaque escadron.