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Mais ou ils tombent dans des vergers bourrés de tirailleurs, ou ils s’arrêtent au bord d’un large fossé fortifié par des arbres coupés à cinq ou six pieds du sol ; ou ils se heurtent à des canons invisibles qui ne se décèlent qu’en les couvrant d’obus et de mitraille. Leur passage est marqué par une longue traînée de morts et de blessés. Cette hécatombe n’a pas arrêté l’ennemi ; elle ne sert qu’à prouver ce qu’on n’avait pas à apprendre, que notre cavalerie savait bien charger à fond et bien mourir.

Enfin, le maréchal, quoique endurci aux émotions du champ de bataille, est touché. Il coupe court à cette funèbre chevauchée, et, au moment où le dernier régiment s’ébranle, il ordonne d’arrêter, non assez à temps cependant pour que le colonel de Lacarre n’ait la tête emportée par un obus. Qu’elles sont cruelles ces charges irréfléchies de la désespérance ! Pauvres cuirassiers !

La division Bonnemain chargeait encore que les huit batteries de la réserve générale, sous le commandement du colonel Vassart, sur l’ordre du général Forgeot, s’établissent deux au Nord d’Elsasshausen, face au Sud, quatre sur la crête du terrain face à Wœrth, deux autres servant de liaison entre les deux groupes. Mais à peine avaient-elles tiré deux ou trois coups par pièce que les Prussiens, sans souci des décharges de mitraille à bout portant, s’élancent au milieu d’elles, abattant hommes et chevaux. Nos batteries ont à peine le temps de chercher leur sûreté en courant vers Reichshoffen, soit à travers le Grosser Wald, soit par la route de Frœschwiller. Elles n’ont pu, pas plus que les cuirassiers, ralentir la poussée déchaînée qui s’avance, comme la lave d’un volcan, vers Frœschwiller. Pauvres artilleurs !

Maintenant, c’est le tour du 1er régiment de tirailleurs et de quatre bataillons de la division Pellé, tenus en réserve à cause des pertes de Wissembourg. Son colonel, Morandy, reçoit l’ordre de le porter en avant. Les bataillons de Lanmerz, Sermensan, Coulanges, noms à ne jamais oublier, se rangent en bataille. Ce n’est pas une masse considérable, comme l’a dit la relation prussienne. Ils sont à peine 1 700 contre environ 15 000. Que leur importe ! Le souffle de la tempête ne compte pas les fétus de paille, les grains de sable, les feuilles mortes qu’il va faire tournoyer. Ces 1 700 bondissent sur les 15 000 du