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innovations charitables auxquelles son nom reste honorablement attaché. Elles offrent toutes ce trait commun qu’elles visent à apporter dans les relations de l’Etat avec les humbles et les misérables plus de douceur et de pitié, à donner quelque soulagement à la souffrance humaine.


Les hospices, hôpitaux, asiles de mendians et d’infirmes présentaient, au XVIIIe siècle, dans toute l’étendue du royaume, et plus spécialement à Paris, un aspect dont l’horreur passe l’imagination. Les descriptions qu’en ont laissées ceux qui ont vu les choses de près, — tant les visiteurs étrangers que les commissaires officiels chargés d’étudier la question, — sont remplis de détails qu’on ne peut lire sans frémir de dégoût[1]. « Je savais, comme tout le monde, écrit un voyageur anglais, que Bicêtre était à la fois un hôpital et une prison ; mais j’ignorais que l’hôpital eût été construit pour engendrer des maladies et la prison pour enfanter des crimes. » C’était à Bicêtre, en effet, qu’on enfermait la plupart des mendians et des infirmes sans ressources, reconnus incapables de gagner leur vie. Ils y vivaient dans une promiscuité presque complète avec les prisonniers, les repris de justice, le « gibier de galères, » dont le contact avait vite fait de pervertir irrémédiablement ceux qui n’étaient d’abord qu’à plaindre. Tous étaient entassés dans des salles basses, étroites, sans air pendant l’été, sans feu pendant l’hiver. Durant la saison rigoureuse de 1775, plusieurs centaines périrent de froid. Faute de place et de, matériel, il n’existait souvent qu’un seul lit pour huit occupans ; force était que quatre d’entre eux dormissent « sur le carreau, » en attendant que les quatre autres cédassent leurs places dans la « couchette. » Nulle distinction ni de sexe, ni d’âge ; aucune séparation des malades et des bien portans. D’affreuses exhalaisons ; une nourriture infecte, parcimonieusement distribuée. Pour le partage des alimens, comme pour celui des lits, c’étaient de continuelles batailles. Les habiles et les forts pouvaient seuls espérer « dormir et manger leur content. » — « Impossible de se figurer, conclut un étranger après avoir parcouru cet enfer,

  1. Mémoire adressé au Roi par Malesherbes au nom de la Cour des Aides, en 1770. — État des prisons et hôpitaux en France, par John Howard, traduit de l’anglais en 1784. — Rapport des commissaires de l’Académie des Sciences chargés d’examiner le projet d’un Hôtel-Dieu, etc., etc.