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la manière inhumaine et barbare dont on y traite les malheureux. Qu’une nation aussi civilisée et, en vérité, aussi sensible, puisse tolérer « le pareilles horreurs au sein même de sa capitale, je n’en reviens pas d’étonnement[1] ! »

L’hospice Sainte-Marguerite était spécialement réservé aux femmes enceintes favorisées d’une haute recommandation ; elles y étaient installées et soignées d’une manière à peu près décente. Mais que dire des infortunées qui peuplaient, par centaines, la maison dite de Saint-Joseph ? Là, on plaçait pêle-mêle femmes légitimes et femmes de mauvaise vie, d’où résultait un grave inconvénient moral, femmes saines et femmes malades, d’où résultait un grand dommage physique. Les accouchées étaient souvent quatre dans un même lit, si serrées et si mal tenues que, « quand on entr’ouvrait ces lits, il en sortait, dit un témoin, comme des vapeurs chaudes et infectes, qu’on pouvait diviser et écarter avec la main. » Les blessées et les opérées étant groupées dans des salles contiguës aux salles des malades ordinaires, et séparées par une simple cloison, les cris, les gémissemens empêchaient tout sommeil, et parfois l’infection des plaies gagnait les accouchées. Les religieuses préposées à la tâche de soulager ces malheureuses y apportaient, nous disent les relations, « un tendre dévouement et une louable sollicitude ; » malheureusement, imbues de préjugés, ignorantes des lois de l’hygiène, elles négligeaient en général « d’ouvrir les fenêtres et de laver les chambres. » Aussi l’odeur était affreuse et « l’air irrespirable. »

Mais rien ne surpassait en incurie et en cruauté inconsciente le plus célèbre et le plus important des asiles de malades, l’Hôtel-Dieu de Paris, dont de nombreux récits ont retracé la condition affreuse. Chaque lit ne devait, en principe, y recevoir que deux personnes ; mais, aux périodes d’encombrement, qui se renouvelaient chaque année, on y installait côte à côte quatre malades, quelquefois six, dont chacun disposait de « huit à treize pouces environ » pour y loger son corps. Aussi, pour obtenir quelques heures de sommeil, doivent-ils « se concerter entre eux pour que les uns se lèvent et veillent une partie de la nuit, tandis que les autres reposent. » Il advenait souvent qu’un des malades décédât brusquement et que le mort restât

  1. Lettres de Von Vizine, avril 1778.