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l’absence de direction et de coup d’œil vigilant. Quelles que soient les vallées éparses autour d’une haute montagne, on aperçoit, toujours les dominant, le même sommet immobile ; quelle que soit celle de nos batailles qu’on raconte, on est ramené toujours à Metz, à cette constante défaillance de toute vue, de toute volonté, de toute direction dans l’état-major général.


XI

Il est une faute cependant tout à fait personnelle à Mac Mahon, et dont l’état-major n’est nullement responsable. C’est d’avoir livré bataille dans des conditions d’infériorité numérique qui interdisaient de le faire. Depuis qu’on écrit sur l’art de la guerre, on a répété la maxime de Végèce : « Si l’ennemi est plus fort que lui, le chef doit éviter une affaire générale. » Napoléon a dit : « Une bataille ne doit pas se donner si l’on ne peut d’avance calculer sur soixante-dix chances en sa faveur et seulement lorsqu’on n’a plus de nouvelles chances à espérer. » Les soixante-dix chances n’existaient pas et aucune chance à espérer ne s’entrevoyait.

Napoléon a encore dit qu’on ne doit pas livrer bataille avant d’avoir réuni le plus grand nombre de forces possible, car souvent la victoire dépend d’un seul bataillon. Nous avons déjà vu qu’un des articles principaux du plan de Moltke (et c’est ce qui explique les temporisations du Prince royal) était de n’agir que lorsque toutes les forces seraient réunies. Mac Mahon aurait donc dû s’en tenir à sa résolution du matin du 6 août et se retirer vers Lemberg ; il n’aurait dû penser qu’à s’accrocher aux rocs des Vosges, laisser l’escadron ennemi entrer dans Wœrth, sans discontinuer de plier bagage.

La bataille engagée à tort, j’incline encore à croire qu’il eût été bien inspiré, après la prise d’Elsasshausen, de ne pas lancer les cuirassiers, la réserve d’artillerie, le 1er tirailleurs algériens et d’ordonner la retraite, qui, encore à cette heure, grâce à l’appui que Ducrot pouvait prêter, n’aurait pas dégénéré en une débâcle aussi effroyable.

Voilà ce que ma raison me dicte, mais mon cœur ne s’y associe pas, et, malgré tout, le Mac Mahon de cette journée m’inspire une ardente admiration. Au moment où tant d’autres