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in-folio grecs, latins, cependant : un beau Strabon, un Ausone. Un Montesquieu en trois tomes… Le Voltaire de Kehl ; le Rousseau avec la suite des gravures de Marillier… L’abbé Prévost en trente volumes… L’Histoire universelle en cent vingt-neuf, « traduite de l’anglais par une société de gens de lettres. » L’Histoire des voyages… Tom Jones… Laclos… Tous ces volumes portent une sorte d’uniforme : la reliure en veau fauve, très dorée sur le dos à nervures, les tranches rouges. Sur le panneau qu’ils couvrent, leur juxtaposition dessine une belle tenture cordouane… À côté, bien plus nombreux, voici les éditions d’une autre époque féconde, l’abondante récolte qui va de 1815 à 1830, les classiques de Didot et de Lefèvre, avec leur reliure à des plats, à pièces en forme de carré ou d’écu, — et aussi les reliures purement romantiques avec leurs amusantes arabesques dorées, le titre au milieu du dos entre deux grandes parenthèses horizontales. Temps béni pour les bibliothèques françaises, temps des éditions in-octavo à claire typographie, à marges généreuses, à gravures soignées ! Je salue au vol ces immuables élémens des collections de château : les histoires de Ségur et de Norvins, l’Histoire de Paris, de Dulaure, le Lycée de la Harpe… Voici Tristan le Voyageur ; voici le Jeune Anacharsis, avec son atlas ; voici les œuvres de Mme Riccoboni ; voici le Répertoire du théâtre français ; voici le Théâtre des Grecs, de Brumoy ; voici le Shakspeare de Letourneur et le Byron de Pichot. Et vous ne manquez pas au rendez-vous, vénérables collections de Walter Scott et de Cooper, traduits par Defauconpret ; ni Chateaubriand, ni Béranger, ni le Balzac de Houssiaux !

Trop souvent, dans les bibliothèques de château, ce Balzac de 1855 est l’acquisition la plus récente. La curiosité littéraire des châtelains semble s’être soudain endormie vers cette date. Quelques Sand, quelques Labiche dépareillés, de vagues brochures… on atteint notre époque en quelques enjambées. Telle n’est pas la bibliothèque d’Ambleuse, qui, grâce à la culture intellectuelle des propriétaires successifs, n’a négligé d’acquérir ni les grands romanciers de la fin du XIXe siècle, ni les beaux livres de la critique moderne, ni les philosophes contemporains. Et, en passant par Taine et Brunetière, on arrive ainsi jusqu’à Pierre Louys, la comtesse de Noailles et Abel Bonnard, achetés par Georges de Lespinat.