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traduisit sans faux-sens : « notre avidité le trouble souvent ; » un contresens général interpréta « pour désirer » comme « afin de désirer ; » enfin la phrase finale : « Nous ne les faisons pas servir à obtenir les plus considérables » fut expliquée si bizarrement qu’on eût cru lire la traduction, par des élèves négligens, d’un obscur texte étranger.

Assez honteux d’une impuissance qu’il leur fallait bien constater, et qui les surprenait eux-mêmes, mes « nouvelle-couvée » s’excusèrent en déclarant qu’on ne leur avait jamais demandé de « version française. » Je leur répliquai que je m’en doutais, mais qu’il était cependant plus nécessaire pour de jeunes Français de comprendre La Rochefoucauld que certains romans idiots de la bibliothèque Tauchnitz.

L’examen porta ensuite, ma chère nièce, sur l’histoire, la géographie, l’arithmétique. Vous n’êtes pas encore assez éloignée du temps où, gentille élève de l’Institut Berquin, je vous visitais fidèlement au parloir, — pour avoir oublié dans quels pièges je m’amusais à faire trébucher votre érudition toute fraîche. On vous enseignait chichement à Berquin ; votre programme d’alors semblerait étriqué, comparé aux somptueux programmes d’aujourd’hui. Mais vous étiez, — sans compliment, — une jolie intelligence, vive, lucide, curieuse, et cela supplée à tout. Et puis, qu’importent les somptuosités de programme ? La nouvelle couvée ne sait rien de plus en histoire, en géographie, en sciences exactes que ne savaient les « petites Berquin. » Ses livres de classe marquent une égale méconnaissance de l’esprit des élèves, un pareil dédain de la notion du temps, un mépris identique de ce qu’est « apprendre » et de ce qu’est « savoir. » J’ai feuilleté l’Atlas de Noël Laterrade : sous prétexte d’aider la mémoire, c’est une succession de petits cadres où l’on voit cent Frances bariolées de bleu, de rouge, de jaune, de vert ; il y a la carte des céréales, la carte des cotonnades et des lainages, la carte des betteraves et des carottes, la carte de l’industrie du papier, cent cartes, vous dis-je, dont l’enfant est censé fixer l’image en sa cervelle ! L’auteur se moque-t-il du monde ou n’est-il qu’un sot ?… Quant au cours d’histoire du même Noël, c’est un volume de sept cents pages in-12, d’un texte serré, qui expose les destinées de la France depuis les origines jusqu’en 1889. Si je tenais l’auteur, il me semble que j’essaierais de l’étrangler..