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Résultat de ce mirifique enseignement : les mêmes « colles » où bronchait ma Françoise au temps de l’Institut Berquin, mais dont elle finissait par triompher grâce à la force de son clair génie, ont désarçonné mes néophytes modernes. Je vous en rappelle quelques-unes : vous les saluerez comme de vieilles ennemies.

Pas un élève sur dix (et pas une grande personne dite cultivée sur cent) ne sait, même en gros, la superficie de la France, ou la distance de Cherbourg à New-York, ou n’est capable de ranger les États importans par ordre de dimensions. Même comique ignorance, si vous priez l’examiné de vous faire faire un petit voyage sur le Danube, en nommant seulement cinq villes traversées ! Bafouillage innommable si l’on aborde l’explication des degrés de longitude, et leurs rapports avec le mètre : la base même de la géographie est donc ignorée. Posez, pour voir, à n’importe qui (toujours prétendu cultivé) la question suivante : « Rappeler en vingt lignes ce qui s’est passé en Russie pendant le XVIe siècle, » vous recueillerez les plus divertissantes âneries… Enfin, pour bien constater que personne (sauf les spécialistes) ne possède les premiers élémens de l’arithmétique, offrez, — comme je l’offris à ma petite troupe déjà moins fringante, — le célèbre problème que nous appelons, vous et moi : « le problème des cheveux. »

Étant admis qu’une femme n’a pas plus de trois cent mille cheveux sur la tête, y a-t-il deux Parisiennes ayant exactement le même nombre de cheveux ? Justifier sa réponse par une démonstration


Un des grands plaisirs de la pédagogie pratique, c’est que la jeunesse se rallie volontiers et vite à ce qui lui paraît équitable et vrai. Elle n’a ni prévention, ni parti pris. Réunis autour de moi, dans la Bibliothèque d’Ambleuse, mes « nouvelle-couvée, » passablement honteux de leurs déconvenues, pépiaient : « On ne nous a pas appris !… »

Quand leur émoi s’apaisa, je leur dis :

— Mes chers enfans, vous avez raison ; on ne vous a pas appris… Votre ignorance accuse l’inertie des éducateurs, plus que la vôtre. Les gens qui font des livres classiques sont des paresseux ; car, au lieu de méditer sur l’esprit des enfans et