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plus à fond, notre langue. Aussi fut-il criminel d’affaiblir votre âpre et utile apprentissage de la langue maternelle en vous embarrassant de mots, de tournures, d’accens étrangers. On est arrivé à ce mirifique résultat que vous savez un peu, — très peu d’allemand ou d’anglais, — mais que vous ne savez guère plus de français. Vous ne possédez donc, entre douze et seize ans, aucun outil parfait pour vous assimiler les idées des autres, ni pour exprimer les vôtres. N’eût-on pas mieux fait d’épargner tant d’institutrices étrangères, et de vous enseigner le français à fond, avec son vocabulaire, ses tournures, son histoire, sa prosodie, comme j’essaye de le faire pour nos petits amis Pierre et Simone ?

— Alors, s’écria Guy Demonville, il ne faut jamais étudier d’autre langue que la sienne ?

— Ne me faites pas dire cette sottise ! répliquai-je. Les langues autres que le français sont utiles pour la pratique de la vie et pour l’enrichissement de l’esprit : cela va de soi. En outre, leur apprentissage intelligent exerce ce qu’on appelle « l’esprit d’analyse. » Beaucoup de pédagogues modernes ont les joues toutes gonflées de ces mots : l’esprit d’analyse, — et, au nom de l’esprit d’analyse, ils condamnent la méthode directe, c’est-à-dire la méthode par laquelle vous avez appris votre langue maternelle, mots, tournures, phrases d’abord, — grammaire ensuite.

« Je leur répondrai qu’au début des études, l’esprit d’analyse des enfans français s’exerce beaucoup mieux sur une phrase française comme celle de La Rochefoucauld, dont tous les mots sont connus, — que sur un texte en langue étrangère où l’ignorance du vocabulaire déroute précisément l’analyse. Il ne s’agit pas de fabriquer de petits Sherlock-Holmes, ni des devineurs de rébus : il s’agit d’habituer les élèves à méditer sur un texte raisonnablement écrit, et à en extraire la pensée. C’est donc sur des textes français que votre esprit d’analyse doit d’abord s’exercer.

« Un peu plus tard, vers neuf ou dix ans, un utile développement de l’esprit d’analyse sera d’apprendre une langue étrangère. Et je pose ici deux axiomes.

« I. Rien n’est plus facile, ni plus amusant que d’apprendre une langue étrangère.

« II. Toutes les langues étrangères peuvent s’apprendre par