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grande surprise de quelques autres qui pensaient qu’il allait utiliser littérairement ses expériences d’homme d’action, il sembla fuir les genres qui lui auraient rendu cette « utilisation » facile. M. Emile Faguet qui célébra triomphalement ce « retour aux lettres, » à l’occasion duquel il évoquait le souvenir de Racine, en fut quitte pour ses pronostics. « Je ne serais pas surpris, disait -il, que M. Lemaître se tînt moins, désormais, dans le domaine sentimental et dans l’analyse des ressorts légers et souples du cœur ; » et il le voyait écrivant surtout des pièces de psychologie politique et sociale : cela faisait « peu de doute » à ses yeux. Ni la Massière cependant, ni Bertrade, ni le délicieux Mariage de Télémaque ne ressortissent à ce genre, n’ont l’air d’avoir été écrits par le président et le porte-parole de la « Patrie française, » et j’ai pu parler de ces trois pièces ainsi que de toutes les autres du même auteur, comme si l’ « Affaire » n’avait pas eu lieu, et sans paraître violer la chronologie, — au moins morale. Pareillement, j’aurais pu, en même temps que des autres Contes, parler des deux volumes intitulés En marge des vieux livres : rien n’indique, — sauf la date de la publication, et exception faite peut-être pour un ou deux Contes, — qu’ils soient d’après la « Patrie française. » Et si j’ai attendu jusqu’à présent pour étudier M. Jules Lemaître conteur et romancier, c’est que, s’étant « diverti » toute sa vie à composer des Contes, il a dû exprimer ou insinuer là quelques idées, quelques sentimens qui, peut-être, n’avaient pas trouvé leur place ailleurs, et qu’à examiner d’ensemble toute cette partie de son œuvre, on peut prendre comme une sorte de vue perspective de son activité littéraire et se représenter avec une certaine précision sa forme d’imagination et son tour de sensibilité.

Il faut dire les choses comme on les pense. Je ne comprends pas pourquoi M. Jules Lemaître n’a écrit, — au moins jusqu’à présent, — qu’un seul roman en trente années de vie littéraire. Est-ce là un simple effet du hasard ? Ou bien, en composant les Rois (1893), a-t-il cru reconnaître qu’il n’avait pas la vocation ? Ou bien les œuvres d’assez longue haleine ont-elles fait un peu peur à sa nonchalance ? Ou bien, son unique roman n’ayant pas eu, ce me semble, un très grand succès, s’est-il découragé un peu vite ? Je ne sais, et je me demande si nous ne devons pas regretter cette désertion un peu bien rapide. Car enfin, le roman