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enveloppe ces souvenirs de religion et d’art qui sont entre les plus grands de notre tradition nationale. Ces feuillages sont « bien nés. » Ces arbres sont les petits-fils de ceux qui ont ombragé les deux têtes merveilleuses et chères où sont écloses les Pensées de Pascal et les tragédies de Racine. Et nous songeons que, lorsque le génie de la France aura accompli son œuvre, — dans longtemps, bien longtemps, — d’autres feuillages, descendans de ces arbres-ci, s’inclineront sur les fronts d’une humanité dont nous ne prévoyons pas les conditions d’existence, mais qui, si elle n’est pas retournée à la barbarie primitive, continuera d’être inquiète dans son esprit comme Pascal et troublée dans son cœur comme Racine. Et tout cela, religion, art, nature, s’accorde pour former en nous un mélange d’impressions si fortes que nous plions sous elles et que nous ne saurions les définir...


Quand on rencontre des pages comme celle-là, comment voulez-vous que l’on n’oublie pas toutes les objections qui vous viendraient à l’esprit en en lisant d’autres, et que la plume ne vous tombe pas des mains ? Or, il y a plus d’une page de cette valeur dans le livre sur Jean Racine. Les tendresses littéraire ? de M. Jules Lemaître lui ont toujours porté bonheur.


IV

A suivre, presque d’année en année et d’œuvre en œuvre, le développement et les applications diverses de ce talent si heureux et si souple, n’avons-nous pas risqué de perdre un peu de vue je n’ose dire sa philosophie, — M. Jules Lemaître nous eu voudrait de le transformer en « philosophe, » ou même en « penseur, » — tout au moins les idées générales les plus constantes que suggèrent ses écrits et auxquelles aboutit son expérience. Ces idées générales, il faut les recueillir et les résumer maintenant, quitte à paraître systématiser outre mesure l’un des esprits les plus libres, les moins dogmatiques qui furent jamais.

J’ai dit que fauteur des Contemporains n’est point un philosophe. Très positif, très ami de la réalité concrète, il est de ceux que l’aventure métaphysique ne tente guère, et que même l’angoisse métaphysique étreint si peu, qu’il fait presque profession de n’y pas croire. Quand elle se présente à sa pensée, il l’écarté vite, d’un geste, et d’un sourire : « Après cela, on ne vivrait pas si on songeait toujours à ces choses. » Il y a pourtant songé quelquefois. S’il n’a peut-être pas longuement