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l’Institut royal de Dessin et de Mathématiques, fondé par Barbier en 1767, devait perfectionner l’enseignement.

Lui-même, d’ailleurs, cachait jalousement le secret de ses origines. S’il ne renia point, comme Jean-Baptiste Rousseau, le cordonnier son père, du moins ne l’avouait-il pas tout haut. Ses contemporains ne soupçonnèrent pas sa naissance ou l’oublièrent si bien, qu’ils n’en ont point transmis le souvenir à la génération qui suivit. Le chevalier de Lédans lui-même, l’ami, le confident de ses dernières années, et qui lui a consacré des souvenirs fort pittoresques[1], garde, à cet endroit, un absolu mutisme. Jusqu’au tombeau, Louis Carrogis conserva la pudeur humiliée, — et certainement habile, — de son ascendance.

A quel moment prit-il son pseudonyme ? Sur ce point il nous faut encore confesser notre ignorance. Vraisemblablement ce dut être assez tard. En 1744, il signait tout uniment Louis Carrogis, au baptême de son neveu Louis, fils de son frère Pierre et de Marie-Françoise Pillet, s’attribuant la qualité d’ » ingénieur. »

Il commençait déjà de se pousser au soleil et jouissait d’une aimable réputation de bel esprit et de « caricaturiste, » comme on disait alors, où le mot n’avait pas sa valeur d’aujourd’hui. Mais, de vrai, pour réussir et s’imposer, Carrogis avait bien mauvais air et sentait par trop son manant crotté. M. de Carmontelle, sonnait d’autre manière, pour forcer la porte des meilleurs salons, l’avenue des ruelles les mieux hantées. Sous ces syllabes orgueilleuses, comment aller découvrir l’apprenti rapetasseur de semelles, à la cordonnerie du Cœur-Volant ? Donc, foin du Carrogis, patronyme désastreux, honneur à M. de Carmontelle !

Jal insinue, sans preuves, que le succès des Contes moraux détermina le choix de cette personnalité d’adoption et qu’il forgea son nom en imitation de celui de Marmontel. L’hypothèse est ingénieuse, le filandreux versificateur d’Aristomène se trouvant à cette époque en pleine vogue. Par malheur, les Contes moraux sont de 1757 et Carmontelle, depuis trois ans au moins, avait dépouillé sa chrysalide originelle.

Il avait, en effet, passé la première jeunesse et touchait à son trente-huitième printemps, lorsque nous le voyons brusquement

  1. Le manuscrit inédit en est conservé au château de Chantilly.