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C’était, il est vrai, une lanterne magique de son cru et fort perfectionnée, qui rappelle les ombres chinoises remises à la mode, il y a une vingtaine d’années, par Rodolphe Salis, de joyeuse mémoire. Cela s’appelait des panoramas. Derrière un transparent, l’industrieux opérateur découpait des silhouettes, peignait à la détrempe des paysages appropriés, sur du papier très fin et disposé sur des châssis successifs. Le tout lui servait à composer des tableaux mouvans, des scènes d’actualité humoristiques, qu’il déroulait ensuite aux yeux du spectateur. Certains de ces panoramas eurent jusqu’à cent soixante pieds de long, et l’illustre assemblée s’en déclarait ravie.

Enfin, et c’est à ce titre surtout qu’il vaut de nous intéresser, Carmontelle continuait à Villers-Cotterets ou à Saint-Cloud durant la belle saison, au Palais-Royal pendant l’hiver, la précieuse collection de portraits que nous l’avons vu commencer à Dampierre et si bien continuer à Wesel.

Un autre familier de Mme de Montesson, Grimm, va les signaler à notre curiosité : « M. de Carmontelle, écrit-il le 1er mai 1763, dans sa Correspondance littéraire, a fait, depuis plusieurs années, des recueils de portraits dessinés au crayon et lavés en couleurs et à la détrempe. Il a le talent de saisir singulièrement l’air, le maintien, l’esprit et la figure. Il m’arrive tous les jours de reconnaître dans le monde des gens que je n’ai jamais vus que dans ces recueils. Ces portraits de figure, tous en pied, se font en deux heures avec une facilité surprenante. Carmontelle est ainsi parvenu à avoir le portrait de toutes les femmes de Paris, de leur aveu. Ces recueils, qu’il augmente tous les jours, donnent aussi une idée de la variété des conditions des hommes et des femmes de tout état, depuis Mgr le Dauphin jusqu’au frotteur de Saint-Cloud. »

Le spirituel chroniqueur n’exagère pas. Cette collection unique et qui devait se continuer jusqu’en 1789, constitue pour l’historien du XVIIIe siècle la plus inappréciable « illustration » de la haute société du temps. On y trouve, croqués sur le vif, les visages et les expressions, les gestes et les attitudes ; dans les portefeuilles de Chantilly, qui la contiennent, revit toute cette époque brillante, légère, étourdie, attirante infiniment, avec toutes ses élégances, quelques-unes aussi de ses trivialités.

Depuis que la marquise l’avait réconcilié avec la bonne compagnie,