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la part des khammès, le constituent presque toujours en débet vis-à-vis de ses maîtres ; or, la coutume oblige, dans beaucoup de régions, le propriétaire indigène qui emploie un khammès à rembourser la sarmia qu’il doit au précédent bailleur ; le débiteur ne trouve donc à se placer nulle part et doit travailler indéfiniment pour son créancier, s’il ne trouve à louer ses bras chez un Européen qui n’a pas à tenir compte de ces usages tyranniques, aussi contraires à nos principes de droit qu’à la loi musulmane elle-même qui proscrit comme aléatoire tout bail à quote-part des fruits[1]. Alors même que cet abus disparaîtrait, la situation des khammès serait toujours singulièrement étroite et humble vis-à-vis des maîtres indigènes de la terre dont beaucoup emploient les mêmes familles depuis des générations ; s’ils ne sont pas légalement attachés à la glèbe, comme ceux de Tunisie qui peuvent être réintégrés de force, tant qu’ils sont redevables d’une obole au propriétaire, ils sont rivés à leur état par toutes les forces du groupe, du sang, de l’habitude ; pour échapper à l’exploitation héréditaire, il leur faut s’arracher à toute leur vie, chercher au loin leur pain, au risque de tomber définitivement à la boue des villes ou des grands chemins.

D’ailleurs, en supposant le mieux, un bailleur honnête et une bonne terre, le cinquième de la récolte nourrit tout juste son homme, tandis qu’on voit plus d’un indigène se retirer du service d’un Européen avec un petit pécule qui lui permet de devenir propriétaire.

Peut-être objectera-t-on que, si l’intrusion européenne profite à quelques manœuvres indigènes, elle a réduit beaucoup de propriétaires musulmans à la condition de salariés en leur prenant leur terres. Pour justifier notre œuvre, il suffit de se demander ce qui serait advenu de ce pays, dans la paix française, s’il était resté complètement fermé aux entreprises du dehors. Un calcul bien simple s’impose : la colonisation occupe environ la cinquième partie des champs algériens ; d’autre part, le nombre de nos sujets augmente de près de deux pour cent par an[2] et la part des terres revenant théoriquement à chacun d’eux diminue d’autant chaque année. Si donc

  1. Pouyanne, la Propriété immobilière en Algérie, p. 156 à 158.
  2. Moyenne de l’accroissement de 1901 à 1906 : 77 350 pour 1 477 788 indigents musulmans, soit 1,7 pour 100.