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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/359

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vidée de vouloir, qui se tient à l’écart de la vie parce qu’elle la dédaigne et parce qu’elle en a peur, — c’est son pâle petit bouledogue dont les instincts sont presque morts, tant il est, lui aussi, civilisé, citadin, intelligent, assuré de sa pâtée quotidienne, bête admirable, éprise de solitude et de silence à côté de la bibliothèque, tout indépendante de ses congénères, mais qui tombe en arrêt, un jour, dans une allée d’Hyde Park, devant un chien plus extraordinaire encore que lui-même, un toutou frisé, tout blanc, qui ne bouge pas, qui n’a point d’odeur, et dont il fait le tour avec un émerveillement stupéfait, comme s’il avait enfin trouvé le chien idéal, le produit parfait et définitif de la civilisation dans l’espèce canine. En effet, celui-ci est supérieurement artificiel : il est de carton. Mais de telles images sont plutôt des rappels d’idée dont on ne peut faire comprendre l’effet par des exemples. Signaler au lecteur l’une de ces analogies, c’est tout de suite commencer à l’expliquer. On pose l’un à côté de l’autre les deux termes que l’auteur a maintenus séparés, dont un seul doit suffire à nous évoquer l’autre. Aussitôt la fugace allusion se change en métaphore concertée, le symbole se développe en parabole.

Au total, l’œuvre de ce romancier nous atteste un. effort très nouveau pour pénétrer au sein de la vie, pour en saisir et en traduire ce que nous y sentons de plus fuyant et que l’art, en général, ne transpose qu’en le dissociant, en le déterminant, en l’astreignant à la simplicité des formes arrêtées. Il y parvient par des moyens qui semblent ordinaires, en réalité extraordinairement subtils. Le principal, celui que l’on aperçoit et que nous avons signalé d’abord, c’est le choix calculé, la secrète ordonnance du détail profondément caractéristique. Le plus minime, le plus indifférent, semble-t-il, quand on l’isole, — la façon dont le vieux et maigre James tient son parapluie, le geste que fait lady Casterley pour écraser une guêpe, — ajoute à notre intelligence d’une certaine nature, à notre vision d’une certaine physionomie. C’est que M. Galsworthy unit à l’intuition profonde de la vie psychologique la perception aiguë de tout ce qui la manifeste au dehors. Il voit totalement chacun de ses personnages, à la fois dans son unité intérieure et permanente, et dans la diversité de tous ses aspects et momens. D’où la valeur esthétique de tout cet infinitésimal qu’un autre n’eût pas songé à traduire ou qu’il eût négligé comme inutile. Il agrandit ainsi