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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/361

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pathétique sous des cheveux gris, — et dont nous devinons cependant à la fois le douloureux passé, ce qu’il a laissé en elle de sensibilité anxieuse et de méfiance, la vie monotone et limitée à son ménage, la fierté susceptible et qui cherche la solitude, la puissance de passion concentrée sur son mari. Tout cela, semble-t-il, par deux ou trois gestes, mais si intensément significatifs, et dont la valeur s’accroit par la situation. Seulement, n’oubliez pas, alentour, ce jeu si nuancé, si preste, de reflets que se renvoient les personnages et qui nous les montrent les uns dans les autres, les fuyantes lueurs dont ils s’éclairent mutuellement, toute cette prestidigitation d’âmes miroirs dont l’auteur de l’Egoïste a donné les premiers exemples.

On voit à peu près comment M. Galsworthy esquive la difficulté du style de Meredith. À celui-ci il ne doit que son idée générale du roman et quelques-uns de ses moyens obliques d’évocation. Par de savans sous-entendus, il se passe de ces enchevêtremens d’images dont use le maître pour traduire l’intraduisible de l’esprit. C’est aussi que son objet n’est pas le même. Sauf dans le Patricien, le dernier, l’un des plus puissans, mais au point de vue technique le moins original de ses livres (car M. Galsworthy a varié de volume en volume sa manière, et c’est une autre façon pour lui de déconcerter la critique), il ne considère pas des individus exceptionnels ou de la grande espèce, un Richard Feverel, un Nevil Beauchamp, une Diane des Crossways, un lord Ormont, un Victor Radnor, à qui leur créateur a pu prêter quelque chose de son esprit ailé, parfois de son génie, souffler sa propre vie qui fut comme une flamme. Il ne s’occupe pas non plus de cas extraordinaires comme ceux d’Evan Harrington ou de Carinthia, de monstruosités comme l’égoïsme de Willoughby Patterne, l’orgueil de Fleetwood ou le charlatanisme de Roy Richmond. Il n’agrandit pas l’échelle de la nature. Il ne peint pas des épopées d’âmes. Il se prend à des types, à des exemplaires de la société anglaise contemporaine et de ses classes, à des figures, par conséquent, dont son public a l’habitude et que le lecteur anglais peut imaginer sur de légers indices. Derrière les Forsyte, ce lecteur aperçoit la grande bourgeoisie des villes, les parvenus du XIXe siècle, remarquables par leur respect de l’argent, leur rigorisme et leur snobisme, — derrière les Pendyce, la vieille gentry tory des campagnes, la caste ancienne, autoritaire des justices of the