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peace, chasseurs de renards, chefs, de pères en fils, du petit peuple local, — derrière les Dalison, le monde des intellectuels, affinés, sensibilisés par la culture, dociles encore (c’est là le trait anglais) à des consignes d’origine puritaine, mais dont le principe religieux s’est mué pour eux on impératif social, — derrière les Caradoc, enfin, l’aristocratie, dressée par de stoïques disciplines au culte orgueilleux de la volonté, traditionnellement dévouée au service de la chose publique, mais bien plus libre de pensée et d’action, bien plus indépendante des conventions et du cant que la classe moyenne, par là plus spontanée, plus près de la nature, plus capable de comprendre le peuple instinctif et prime-sautier, et d’en être compris.

Le talent et l’art singuliers de M. Galsworthy attiraient d’abord notre attention. Il resterait à considérer ces types, à dégager ce qu’ils signifient des idées anglaises, ces actives idées qui les ont façonnés et dont ils sont la vivante figure. Ce serait une façon, et la meilleure, d’étudier l’Angleterre d’aujourd’hui : elle est déjà tout entière dans l’œuvre inachevée de ce grand romancier. Et puis il resterait à montrer quelle satire est au fond de son œuvre, quel idéal s’y oppose aux idées de la société d’outre-Manche, j’entends aux idées établies, celles que perpétuent la tradition, le préjugé héréditaire, et qui n’ont pas cessé de gouverner les mœurs, — quelle pitié de la souffrance en attendrit ou en aiguise l’ironie, quelle ferveur d’amour l’inspire tout entière, quel sentiment mystique, — presque hindou, s’il n’était si voilé, — de la divine unité du monde, où sont frères et pareils d’essence, non seulement tous les humains, mais tous les périssables vivans.


ANDRE CHEVRILLON.