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sont pas développes organiquement par l’effet naturel du voisinage géographique, ils se sont accrus par suite d’initiatives directement conduites ou indirectement encouragées par le gouvernement ; les étapes de l’influence italienne en Tripolitaine ont été déterminées par des événemens extérieurs. L’établissement du protectorat français en Tunisie en 1881 marque le moment où, pour la première fois, l’Italie songe à se créer des droits éventuels en Tripolitaine. Evincée en Tunisie, elle reporte ses espérances et ses ambitions dans l’Adriatique, dans la Méditerranée orientale, sur les rivages des deux Syrtes et jusque dans la Mer-Rouge. L’échec d’Adoua, la prépondérance autrichienne dans l’Adriatique, amènent de puis en plus l’Italie à se préoccuper de l’avenir de la Tripolitaine. Toutes les grandes puissances pratiquent la politique d’expansion ; elle, qui a un commerce prospère, une marine, des émigrans nombreux, n’a presque pas de terre où elle puisse donner carrière à l’esprit d’entreprise et aux aptitudes colonisatrices de sa race ! A mesure que le partage de l’Afrique s’achève, l’Italie surveille avec plus d’attention les cotes des Syrtes et de la Cyrénaïque qui s’allongent en face de la Sicile, entre la Tunisie et l’Egypte, et elle cherche à faire reconnaître ses droits d’héritière sur cette partie de l’Empire ottoman pour le jour où s’ouvrira la grande succession. En attendant, elle prend des hypothèques sur cette terre. En 1901 des navires de guerre italiens viennent établir par la force, malgré la résistance des Turcs, un bureau de poste à Benghazi, sans que le gouvernement hamidien fasse entendre une protestation. Le Banco di Roma inaugure son activité en Afrique vers 1902 et y multiplie ses entreprises. De plus en plus, en Italie, l’opinion publique s’habitue à considérer la Tripolitaine comme un patrimoine national.

La diplomatie italienne a préparé de longue main l’événement de 1911. Jamais à aucun moment, le gouvernement français, ni personne en France, n’a eu la pensée d’occuper la Tripolitaine. En 1881, l’opposition, et notamment le duc de Broglie, parla de l’entraînement fatal qui nous conduirait toujours plus loin. « Il fallait Tunis pour qu’Alger fût tranquille. Il faut maintenant Tripoli pour que Tunis soit en paix. » Barthélémy Saint-Hilaire, à des demandes d’éclaircissemens du Cabinet de Londres, se borna à répondre que le gouvernement de la République considérait la Tripolitaine comme faisant