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dans la Preparazione que le temps était venu d’étudier une nouvelle organisation intensive de la Triple-Alliance et, en particulier, de l’alliance austro-italienne dans la Méditerranée, et de réviser les idées irrédentistes. Le renouvellement de la Triplice ne fait pas question ; peut-être même les arrangemens nécessaires ont-ils déjà été pris lors du voyage de M. de Kiderlen à Rome ; mais on parle, en Italie, de chercher une nouvelle rédaction du traité constitutif de l’alliance qui lui assurerait une « base méditerranéenne ; » il faut entendre par là, vraisemblablement, que l’Italie, pour prix de son concours en cas de guerre européenne, demanderait à ses alliés de lui garantir dès maintenant la Tripolitaine et de lui promettre quelque chose de plus, si la guerre était victorieuse. Il était à prévoir, pour tout homme d’Etat clairvoyant qu’une guerre italo-turque, surtout si elle était longue et difficile, ne pourrait que servir les intérêts de la Triple-Alliance et en resserrer les liens.

Au début des hostilités, le ton modéré et sympathique de la presse française, qui faisait contraste avec le concert de réprobation des journaux allemands et anglo-saxons, produisit en Italie la meilleure impression ; on célébra l’amitié des deux pays en l’opposant aux sentimens tout différens qui s’exprimaient ailleurs. Quand M. Jean Carrère, correspondant du Temps, revint blessé de Tripolitaine, l’accueil délirant dont il fut l’objet en Italie dépassa toute mesure et inquiéta ceux qui connaissent la mobilité des foules et les brusques reviremens de l’opinion. Il était inévitable que l’expédition de Tripolitaine et la guerre italo-turque n’veillassent les sentimens mal éteints de défiance et de rivalité entre l’Italie et la France[1]. Aussitôt que l’expédition de Tripoli eut appareillé, le vieux cri : « Mare nostrum » retentit dans toute la presse nationaliste. Le Giornale d’Italia du 30 septembre écrivait : « Nous avons confiance dans notre flotte. Nous sommes sûrs que la Méditerranée, qui est une mer romaine, génoise, vénitienne et sicilienne, sera bientôt sous la domination de l’Italie et laissera libre l’accès de Tripoli à notre armée. »

  1. J’ai exposé, dans mon livre l’Empire de la Méditerranée, les raisons psychologiques et historiques de la rivalité franco-italienne dans la Méditerranée ; je demande la permission de n’y pas revenir, les événemens n’ayant que trop confirmé les craintes que j’exprimais en 1904. J’ai montré aussi, dans l’Europe et l’Empire ottoman, — et d’abord ici le 15 novembre 1907, — l’Italie essayant de supplanter l’influence française dans tout l’Empire ottoman et particulièrement en Syrie, et d’hériter de notre protectorat catholique.