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L’imagination de quelques écrivains nationalistes se donna carrière : Tripoli n’était, pour l’Italie, qu’une étape, un mouvement tournant pour reprendre Tunis où 80 000 Italiens attendent les armées et les flottes de la monarchie. La Libye d’autrefois, ce n’était pas seulement Cyrène et Tripoli, c’était toute l’Afrique du Nord. Les journalistes, lancés dans cette voie, eurent plus vite fait de conquérir toute la Méditerranée que le général Caneva l’oasis de Tripoli. L’occupation simultanée de Djanet par les Sahariens français et de la baie de Solloum par les Anglais, faite en vertu de conventions anciennes avec les Turcs et d’accord avec le gouvernement de Rome, apparurent à, quelques publicistes comme un empiétement sur le domaine réservé à l’Italie. Le ton des journaux italiens, à cette occasion, commença à irriter l’opinion française et la presse. Le gouvernement, se souvenant de ses engagemens et des services rendus à Algésiras, ne fit rien qui put contrecarrer l’entreprise italienne, et, malgré les inconvéniens qui en pouvaient résulter pour nos intérêts dans l’Empire ottoman, il se montra toujours disposé à appuyer diplomatiquement tout projet de paix qui donnerait satisfaction à l’Italie. Mais c’est un des caractères singuliers de cette guerre, qu’ayant pour théâtre l’Empire ottoman qui n’a par lui-même ni commerce, ni industrie, ni finances, ce sont surtout les neutres, beaucoup plus que les Turcs eux-mêmes, qui en payent les frais. L’opinion publique française, surtout dans les milieux commerciaux, était déjà nerveuse quand survinrent les incidens du Carthage et du Manouba.

Nous ne discuterons pas ici les faits ni leur interprétation juridique : nous essayerons seulement d’en expliquer certains aspects psychologiques. La crise franco-allemande venait de finir ; la saisie des deux navires s’est produite au moment où M. de Kiderlen-Wæchter se rendait à Rome. Les apparences permettaient de croire qu’entre les deux événemens la coïncidence n’était pas fortuite. C’est l’explication de l’unanimité et de la spontanéité du mouvement très vif de l’opinion française à la nouvelle des procédés italiens. Le gouvernement y fut entraîné. Du côté italien, on peut trouver des raisons de même nature à l’acte certainement « peu amical, » et répété à deux jours d’intervalle, qui est venu troubler les relations franco-italiennes. L’opinion, au de la des Alpes, attribue à la contrebande de guerre par la Tunisie, — impossible à réprimer complètement