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pratiques et aux crimes dont il a payé places, honneurs. Mais entre le Christ et lui vient se placer la Vierge. Debout sur le même sol que le fils de la terre, elle se dresse vers son divin fils, elle intercède pour le misérable, elle écarte timidement la guimpe de sa poitrine, et désignant d’une main le pauvre suppliant, elle montre à Jésus les seins qui l’ont nourri. Alors, le juge se laisse fléchir et l’espérance renaît ; la Passion change de sens et perd son tranchant : au lieu d’une sentence de mort, elle devient un mérite et un gage de salut. Et puis, — car la chair est fragile, — l’homme faiblira encore ; de nouveau, il se mêlera au monde ; il aura des rechutes : mais il a placé devant Dieu, sur l’autel, comme une lampe qui ne s’éteint pas, une invocation permanente ; et, tandis que la vie, au dehors, poursuit sa ronde de légèretés et d’étourdissemens, dans l’église, en silence, le tableau continue à élever son suffrage pour le pécheur. Un tel art, encore une fois, est plus et mieux que de l’art : c’est de la prière fixée.

On sent maintenant le prix de ces œuvres naïves, ce qu’elles veulent dire, ce qu’elles sont pour les fidèles, dans les églises qu’elles animent. On se rappelle le passage d’Homère où les Prières se tiennent devant le trône de Jupiter ; la légende de saint Colomban, le patriarche d’Iona, contient un Irait plus beau encore. Comme il allait mourir, les anges s’apprêtaient à recevoir son âme ; on les voyait déjà, par troupes, comme des oiseaux de mer, descendre et se poser sur des récifs voisins ; alors les couvens de l’archipel se mirent en oraisons ; leurs voix pressées s’élevèrent au ciel comme une herse, et pendant toute une nuit, ni l’âme de l’agonisant, quoique déjà flottante hors de sa prison de chair, ni les esprits célestes venus au-devant d’elle, ne purent franchir cette foule impénétrable, cette muraille de prières. Il me semble que ces peintures ont un peu le même sens : elles servent de rempart, de refuge et d’abri. Elles ont une vertu rassurante. Le peuple les regarde comme des talismans. C’est pourquoi il les rafraîchit et les barbouille d’âge en âge, afin de les empêcher de s’évanouir ou de s’effacer. Il garde ses tableaux, comme ses tableaux le gardent. Son vandalisme généreux est une forme de l’amour. On en a fait l’épreuve au moment de l’Exposition. Dans plusieurs paroisses, on s’est heurté aux plus vives résistances. Les villages s’ameutaient, s’armaient de fourches et de fusils pour défendre leurs trésors. Qui les en