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blâmerait ? L’art n’est pas fait pour les critiques, les curieux, les dilettantes. Il se ravale alors au rôle d’amuseur, et devient, si l’on peut dire, la plus vaine des vanités. Il n’est vraiment quelque chose que lorsqu’il est vivant. Sur leurs rustiques autels, dans les chapelles de leurs montagnes, ces humbles œuvres d’art remplissent une fonction que n’ont pas les plus rares chefs-d’œuvre accumulés dans nos musées. Ils sont des alimens de vie spirituelle. Qu’importe que leur forme soit pure, qu’elle ressemble h ce que nous appelons la beauté ? Qu’importe le timbre de la cloche natale à l’enfant qui n’en connaît pas d’autre, et qui dans son murmure entend un chant d’en haut ?

Là-bas, sur la côte enchantée, chaque hiver précipite une multitude cosmopolite. Toutes les oisivetés et toutes les richesses se ruent vers ce coin du monde. On en a fait à leur usage la plus vaste entreprise de plaisirs de la terre. Et cependant, derrière ce long boulevard, ce quai de casinos, de tripots, de palaces, d’opéras et de caravansérails où se concentrent, pour, une poignée d’heureux, tous les artifices du bien-être, se cache un petit monde suranné, inconnu et pieux. On ne le soupçonnait pas. Cette terre de délices semblait sans souvenirs. Elle s’était donnée à nous, dans un élan d’amour, sans autre dot que sa beauté, sa couronne parfumée de collines sauvages et la ceinture bleue de sa Méditerranée. L’univers fut confié aux noces ; et les réjouissances durent encore, sans que personne, au milieu de la fête, eût demandé son histoire à la jeune Mignon, à la Cenerentola niçoise.

C’est l’oubli que répare cette Exposition. Peut-être passera-t-on désormais moins distraitement sur cette côte ; et, après une visite aux Fragonard de Grasse, prendra-t-on le loisir d’aller méditer, près de là, devant la Danse macabre du Bar, ou de faire un pèlerinage au retable de Puget-Théniers. Parmi tant de choses qui passent, ils nous parlent de quelque chose qui dure, d’une âme de ces beaux lieux profanés qui protestent contre l’abus que nous en faisons, contre ce que nous apportons de nos corruptions et de nos vices ; même à Nice, réunis dans une salle de hasard, on avait émotion et rafraîchissement à les voir ; leur voix lointaine parlait plus haut que le bruit de la vie, et venait rejoindre, dans un atelier voisin, les œuvres subtiles et compliquées, les visions, les allégories vengeresses de M. G. Mossa.


LOUIS GILLET