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S’il peut rendre des services il le fera, mais l’œuvre sera gâtée.

La Chambre se divise, — au premier vol, — à peu près ainsi : 100 républicains, dont les deux tiers montagnards ; la vache à Gambon paît sur ces pentes chardonneuses. 150 légitimistes, divisés en légitimistes purs et fusionnistes. Le reste, centres de toutes les nuances, allant des républicains modérés et résignés, aux orléanistes d’Aumaliens, aux orléanistes avec le Comte de Paris, aux fusionnistes. Cette dernière nuance dominerait évidemment et prévaudrait, si tout le monde ne se demandait avec inquiétude comment faire accepter la chose au pays. Je ne crois pas qu’il y ait un homme raisonnable qui ne puisse comprendre cette combinaison et qui, un peu poussé, n’en reconnaisse les avantages, — la monarchie étant imposée, — mais les préjugés arrivent et c’est une barrière devant laquelle on s’arrêtera, entravé que l’on est d’ailleurs par toute sorte de petits calculs personnels. M. Thiers sera chef du pouvoir exécutif : il navigue entre toutes les eaux ; au fond, je crois qu’il désire prendre le pouvoir et le garder, être Président de République. On ferait donc une république, nuance Dufaure où les orléanistes domineraient. Cela ne contenterait personne. Les républicains seraient assez intelligens pour voir où on les mène. Les légitimistes, si la fusion ne se dessine pas, recommenceront leurs fautes et leurs sottises de 48-49, s’alliant au besoin avec tout le monde contre les orléanistes. Ceux-ci triompheraient, mais mollement, avec des forces négatives et ce serait le gouvernement d’expédiens, de la cote mal taillée que je redoute tant. Tu vois combien il est difficile de faire quelque chose et d’attendre quoi que ce soit de bon. Cependant le terrain n’a jamais été si bien déblayé, la situation n’a jamais été si nette, la politique si bien déterminée. Pour moi, je crois que le mieux serait de nommer un gouvernement anonyme chargé de traiter et d’organiser la paix. Cela durerait quelques mois pendant lesquels on aiderait le pays à se rasseoir et l’opinion à se prononcer. Alors il est probable qu’elle inclinerait fortement d’un sens ou de l’autre ; les monarchistes auraient pu s’entendre, la république modérée serait reconnue ou praticable, ou tout à fait impossible. À quoi bon proclamer demain une république, dont le pays ne veut pas ? Si on veut la fonder au contraire (œuvre bien laborieuse et scabreuse maintenant), il faut y habituer le pays. Dans tous les cas, attendre et reposer les esprits.