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régulier, dans un pays en ordre, où il faut simplement maintenir et régler le cours normal des choses, l’étoffe de bons ministres de l’Empire et de la monarchie de Juillet, — rien de plus, — et il faudrait un Henri IV sur le trône avec des Richelieu, des Colbert, des Turgot autour de lui. Il n’y a pas de partis et tous les partisans s’impatientent ; personne n’est prêt au gouvernement et tout le monde veut y toucher. De là l’irritation qui perce tous les jours et s’accentue entre la Droite, et M. Thiers, le seul homme que nous ayons, qu’il faut garder et soutenir encore. L’opposition de la Droite le rejette sur la Gauche ; les velléités monarchiques amènent des propositions républicaines ; la majorité ne veut pas de la présidence ; on trouvera un biais, je le crois, qui réservera les choses, mais ce ne sera qu’un biais et le gâchis recommencera.

...Le fort en ruines dresse sur le plateau ses murs déchiquetés, ce sont des ruines partout, en arrière le château de Meudon détruit par l’incendie, le Moulin de pierre tout écroulé et à nos pieds le village brûlé, percé d’obus et de balles, les murs crénelés, les maisons effondrées de toutes parts. A mesure que la canonnade s’éloigne, les femmes se montrent sur leurs portes, les soldats boivent dans les cabarets, les enfans jouent dans les rues et les paysans viennent dans la tranchée chercher des échalas.

Il y a des batteries partout le long des pentes qui tonnent et éclatent. La Seine coule son eau bleue entre les rivages désolés et le pont de Sèvres, à demi écroulé, se profile au pied des touffes profondes des coteaux de Saint-Cloud ; il y a là des traits de Claude Lorrain et des grandeurs d’aspect que l’on croit avoir rêvées : puis, à côté, la masse immobile du Mont-Valérien, dépouillé de son manteau de vignes, silencieux et recueilli, qui veille là sur la France. Du sein de la verdure sombre partent des flocons de fumée blanche qui s’irisent au soleil : c’est Montretout qui tonne. Et Paris, enfin, est là, dans la plaine, comme endormi entre ses collines ; les remparts se dessinent sur la terre ravagée ; le grand viaduc d’Auteuil dresse ses arches majestueuses, trouées par les obus ; de temps à autre un coup de canon part des redoutes ; on dirait un vieux lion blessé qui se débat sur la terre jaune et pelée, rugit, et griffe encore avant de se rendre.

C’est la poésie ; la réalité est au dedans. Je ne l’ai pas vue, on me l’a décrite et elle est la plus horrible : c’est Paris en ordre, Paris calme, Paris vivant sa vie animale, plus silencieuse et restreinte,