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mais respirant encore avec des contorsions de jouissance sous le soleil de printemps, les Tuileries en fleur avec des femmes qui cousent et des enfans qui jouent derrière les barricades, de beaux jeunes gens en uniforme qui courent sur des chevaux et des filles dans des voitures qui vont aux ministères. On se promène, entends-tu, on s’amuse, on vit, on travaille, il y a des élèves dans les collèges, des farceurs dans les cafés, des guignols dans les jardins. Je veux voir ces choses, c’est pourquoi je reste ici. Le matin, je travaille. J’ai dû laisser le roman commencé à Bordeaux : la vie est trop fiévreuse. Je refais la première partie de Robert[1], c’est de l’art pur et je pense qu’il y aura là dedans quelques lignes pour te plaire. J’ai écrit pour la Revue un article qui a passé d’emblée et a paru hier. J’y parle de l’instruction obligatoire, et de façon, je crois, à étonner bien des gens et agacer bien des préjugés. Tu juges que je n’ai pas écrit pour faire de la didactique de plomb sur cette matière épuisée par tous les pédans. C’est pour moi un motif à dire un tas de choses philosophiques sur le présent, à combattre surtout la détestable politique des panacées et des imitations allemandes. En deux mots, voici mon idée : obligatoire ou non, l’instruction primaire ne vaut rien par elle-même ; tout dépend de la main qui la dirige et du milieu où on l’applique. Elle a discipliné et asservi les Allemands ; elle contribue en France à augmenter les forces dissociantes. C’est une chose neutre en soi, et qui ne fera rien par elle-même que du mal chez nous... La cause du mal est ailleurs et aussi le remède... etc.


Versailles, 31 mal 1871.

Je ne te conterai pas nos impressions pendant la dernière huitaine du siège. Tu les devines. Je suis allé voir deux fois. La première, c’était de jour, à Meudon, devant le château en ruines, sur les casemates prussiennes. L’horreur était toute de réflexion. On voyait çà et là sur Paris comme de gros nuages orageux avec des jets de vapeur blanche qui poussaient de temps à autre. Mais on se disait : ce sont les Tuileries qui brûlent, peut-être le Louvre, la bibliothèque... Louvre et bibliothèque sont sauvés ; il s’en est fallu de peu. — Le lendemain soir je suis allé à Saint-Cloud. Il y avait au ciel étoile un tout petit

  1. Paru sous le titre de la Grande Falaise (chez Maillard, 1872, épuisé).