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l’autre aux lettres, — politique très littéraire, le, plus littéraire passible, active et personnelle, — c’est de l’activité et cela m’arrache au marasme et au dégoût où me jettent infailliblement les bureaux, les chancelleries et en général tout ce qui ressemble à une machine montée.


Honfleur, 20 septembre 1871.

Je suis allé passer quelques jours chez Delaroche au bord de la Méditerranée. Le bleu m’a ravi. J’ai vu de ces côtes vertes et dentelées, de ces promontoires avec des ruines mauresques qui s’étagent entre les bouquets de pins, de tamaris et de grands genêts ; j’ai respiré l’odeur du thym et du laurier-rose ; j’ai cueilli des myrtes, mangé le raisin sur la vigne et goûté de l’ombre des oliviers ; j’ai parcouru en plein soleil ces croupes rocheuses et nues, grises sous le ciel bleu au bord de la mer bleue, avec des arbres isolés et des ruines solitaires, des chemins de pierre rampans dans les vallons, et des villages, sur la pente, avec les rues tortueuses, les maisons tendues de voiles, les passages voûtés, — bref, une silhouette d’Orient. — J’ai joui de cette nature si essentiellement pittoresque, où tout se limite, se mesure, se détermine, si bien que l’art a dû y naître de lui-même, que l’homme n’a eu qu’à copier ; mais j’aime mieux nos nuances changeantes, nos brumes irisées, notre humidité, notre mer glauque, nos varechs et notre verdure, et cette nature du Nord pleine de mystères, sans cesse ouverte sur l’infini, qu’il faut forcer, séduire, concentrer et rapetisser pour la reproduire et peut-être pour la comprendre. Il n’importe, c’était du nouveau, et aussi quelques traits, quelques couleurs, quelques images qui me permettront de mieux saisir tes descriptions, de mieux t’encadrer quand je pense à toi. Et j’y pense bien souvent, ici mieux qu’ailleurs et plus volontiers. Notre dernière année de collège, mes deux années d’étudiant, tes promenades ici… c’était le bon temps et la vraie vie, — combien plus pleine, plus large, plus ardente en tout, et si remplie de pressentimens ! Quand nous retrouverons-nous une heure seulement ? Que de choses il faudrait pour cela, que de libertés… que nous n’avons-plus ! Sera-ce donc seulement avec la vieillesse ?


27 octobre 1871.

Cher ami, je ne t’en dis pas long aujourd’hui. Je n’aurai rien à ajouter à ma dernière lettre et j’ai bien peu de temps. Avec