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de Roland à plusieurs poètes, à une légion de poètes, n’a pas été suggérée par le besoin d’y expliquer certaines disparates. Ce n’est pas de l’examen interne du texte que l’on est parti, mais d’une idée systématique, conçue a priori : si l’on crut devoir dépecer la Chanson de Roland en une foule de poèmes minuscules, ce fut simplement parce qu’elle avait dû se former, croyait-on, comme Wolf voulait que l’Iliade se fût formée, comme Lachmann voulait que les Nibelungen se dussent formés.

Par la suite, maints critiques ont appliqué à la Chanson de Roland des procédés de dépeçage plus raffinés, ceux de Wolf et de Lachmann. L’un d’eux, Scholle, découpe dans le poème un millier de vers, les baptise « Épisode de Baligant, » et soutient que les assonances et le vocabulaire sont autres dans cet épisode, autres dans le reste de l’ouvrage. Un second chorizonte, Laurentius, croit remarquer chez Turold maintes contradictions : l’ « épisode de Blancandrin » serait interpolé ; l’ « épisode de Belle Aude, » pareillement ; l’ « épisode du Plaid de Ganelon, » pareillement. Un autre, Graevell, analyse les caractères des personnages : Charlemagne, à l’en croire, est incohérent dans le poème ; Marsile, Naime, sont incohérens : d’où il conclut que le poème est fait de pièces et de morceaux. Un autre, Pakscher, appelle à témoin deux résumés en latin que nous avons de notre roman, la Chronique du prétendu Turpin et le Carmen de proditione Guenonis, et, à l’aide de ces deux récits, il reconstruit une autre Chanson de Roland, puis quelques autres Chansons de Roland encore. Depuis, les érudits n’ont pas cessé d’enchérir. Turold, dit Léon Gautier, ne fut qu’un compilateur : il veut bien ajouter qu’ « il ne fut pas un compilateur vulgaire. » « La primitive Chanson de Roland, écrit G. Paris, a été finalement noyée dans les accroissemens successifs qu’elle a reçus à travers les âges : » Turold n’étant que le naufrageur qui a achevé de l’y noyer, ne mérite donc guère notre louange ; aussi G. Paris, au lieu de l’appeler le poète, l’appelle-t-il de préférence « le dernier rédacteur. » On n’ose plus le nommer : ainsi certains hellénistes évitent le nom fâcheux d’Homère.

J’appartiens au contraire à une école qui dément l’ample théorie des origines anciennes, populaires, germaniques, des chansons de geste, et en particulier l’application qui en est faite à la Chanson de Roland. J’estime qu’ayant rempli tout le dernier siècle de leur bruit et de leurs prestiges, ayant d’ailleurs rendu.