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des services, les hypothèses des Herder et des Fauriel ont aujourd’hui fait leur temps. Je crois que nos romans français sont des romans français et ne sont des romans germaniques que dans la mesure où les Français du XIIe siècle étaient des Germains. Je crois que nos romans du XIIe siècle sont des romans du XIIe siècle et qu’il faut les expliquer par cela que nous savons du XIIe siècle (du XIe siècle au plus tôt) et non point par cela que nous ignorons du temps de Charlemagne ou de Chilpéric. Je crois que, pour découvrir le secret de leur formation, il suffit de visiter les églises et les châteaux de la France capétienne, ses champs de foire, ses routes de pèlerinage, d’interroger les chevaliers, les bourgeois, les pèlerins, les clercs, les marchands, de regarder la vie, — la vie du XIIe siècle, s’entend, du XIe au plus tôt ; et quant à Roland, j’espère pouvoir établir que sa légende s’est formée récemment, à l’état de tradition locale, à Roncevaux même et dans les sanctuaires de la principale des routes qui menaient à Roncevaux, dans les églises de Saint-Romain de Blaye, de Saint-Seurin de Bordeaux, de Saint-Jean de Sorde, de Saint-Sauveur d’Ibaneta, et que, si elle s’est développée au XIe siècle, c’est que le XIe siècle fut rempli par des expéditions françaises contre les Sarrasins d’Espagne, lesquelles eurent le caractère de guerres saintes ; c’est que, durant tout le XIe siècle, la route de Blaye aux Pyrénées n’a cessé d’être battue, les églises de cette route n’ont cessé d’être fréquentées par de véritables « croisés, » animés de sentimens très semblables à ceux que la poésie prête à Roland et à ses compagnons, par ces Français qui, s’acheminant vers la terre musulmane, campaient à Blaye, où ils vénéraient la tombe de Roland, et bivouaquaient à Roncevaux, où Roland était mort.

Mais cette idée qu’il faut chercher dans la vie du XIe siècle, non pas trois siècles plus tôt, les origines de la Chanson de Roland, comment oserai-je la soutenir, la proposer même, si je ne montre d’abord que nous n’avons nulle raison de voir dans la Chanson de Roland une compilation de chants épiques bien plus anciens, un renouvellement de poèmes du VIIIe ou du Xe siècle ?

C’est ce que je voudrais tenter ici. J’essayerai de montrer que les diascévastes se sont attaqués bien à tort au poème de Turold. Il existe plus d’un moyen de réduire leurs entreprises à leur juste valeur : mais peut-être suffira-t-il ici de recourir, en toute simplicité et naïveté, aux procédés critiques qui sont