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Il les répète tous, sauf celui qui au début les justifiait : la promesse de la victoire. Il voit donc, maintenant, à son tour, aussi clair qu’Olivier. Il n’est plus aveuglé : serait-il insensible ?

Marsile lance une troisième armée pour achever ceux des Français que Dieu a épargnés. Une troisième bataille s’engage (vers 1661-2183), el bientôt il ne reste plus debout que soixante chrétiens. Alors, quand nous pensons que Roland, obstiné, s’en tiendra à les regarder mourir comme il a regardé les autres, quand c’en est fait, semble-t-il, de l’espoir qu’il rappellera Charlemagne, on le voit s’approcher d’Olivier, cherchant à dire une chose qu’il ne sait comment dire : « Nous avons bien droit de plaindre douce France, la belle... Pourquoi Charles n’est-il pas là... ? » Olivier le laisse parler, comme s’il ne comprenait pas. « Comment faire ? » reprend Roland, et, se décidant enfin : « Si je sonnais l’olifant ?... » Et c’est alors que le poète, recourant à ce procédé de symétrie contrastée dont il tire ses plus puissans effets, construit, comme pendant à la scène où Roland disait ses argumens pour ne pas appeler, une seconde scène où Olivier, ironique, cruel, reprend à son compte contre Roland les argumens de Roland lui-même (v. 1692-1735) :


Roland appelle Olivier : « Beau sire cher, compagnon, pour Dieu, que vous semble ? Vous voyez tant de bons vassaux gisans. Nous avons bien droit de plaindre France douce, la belle : privée de tels barons, comme la voilà déserte ! Ah ! roi, ami, que n’êtes-vous ici ? Olivier, frère, comment faire ? Comment lui mander la nouvelle ? — Je ne sais pas, dit Olivier. Le rappeler ? On en parlerait à notre honte ; j’aime mieux la mort. »

Roland dit : « Je sonnerai l’olifant. Charles l’entendra, qui passe les Ports. Je vous le jure, les Francs reviendront. » Olivier dit : « Ce serait grande vergogne ; on en ferait reproche à tous vos parens, et cette honte serait sur eux toute leur vie. Quand je vous disais de le faire, vous n’en fîtes rien. Si vous le faites maintenant, ce ne sera pas par mon conseil. Sonner ne serait pas prouesse. (Et, comme s’il s’attendrissait, malgré lui :)Comme vos deux bras sont sanglans ! » Le comte répond : « J’ai frappé de beaux coups. »

Roland dit : « Notre bataille est rude. Je sonnerai ; Charles l’entendra. » Olivier dit : » Ce ne serait pas d’un preux. Quand je vous disais de le faire, compagnon, vous n’avez pas daigné. Si l’Empereur était venu, nous n’aurions pas subi ce dommage. (Et, montrant les morts : ) Ce n’est pas sur ceux que voilà qu’en doit tomber le blâme. Par cette mienne barbe, si je puis revoir ma gente sœur Aude, vous ne coucherez jamais entre ses bras. »

Roland dit : « Pourquoi m’avez-vous pris en haine ? » et Olivier répond : « Compagnon, c’est votre faute, car prouesse n’est pas folie, et vaut mieux mesure qu’orgueil. C’est par votre démesure que les Français sont morts. Jamais plus nous ne ferons le service de Charles. Si vous m’aviez cru, mon