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inexplicable, saisit et consterne. Dans les vastes pièces, gaies et claires, dont les fenêtres ouvrent sur de beaux panoramas de campagne, on ne comprend pas un tel abandon. De loin en loin, sur les murs, on distingue quelques vestiges des fresques qu’y peignit Battista Zelotti, peut-être sur les indications de Véronèse, comme à Maser et à Fanzolo. Voici justement une silhouette de femme en trompe-l’œil assez semblable à une figure de la villa Giacomelli. J’ai vainement cherché la Chute des Titans qu’admira particulièrement le président de Brosses. Que sont devenues ces peintures ? Emportées par morceaux ou simplement dégradées par le temps ? Probablement dégradées, puisque de nombreux fragmens subsistent et puisque, ni dans les musées, ni dans les collections particulières, on n’a trouvé trace des parties qui auraient été enlevées.

Le salon d’entrée devait avoir très noble allure ; suivant le plan cher à Palladio, il traversait entièrement l’étage et allait de la façade principale sur la Brenta à la façade sur les jardins. Le propriétaire actuel a le projet de le faire restaurer et certains travaux sont même commencés ; mais le mal est bien grand. Parmi les autres pièces, deux cabinets seulement ont encore, en assez bon état, leur ancienne décoration ; et vraiment, elle est délicieuse. Nulle part les ouvriers qui se spécialisèrent dans l’art du stuc et de la fresque n’acquirent plus d’habileté qu’à Venise. Ils eurent tout ce qui est nécessaire à ce travail : la richesse d’invention, la grâce, la variété, l’élégance, la fraîcheur d’inspiration et surtout le goût le plus exquis. Leur fécondité tenait du prodige. Festons et guirlandes, branches de vigne, feuillages et fleurs, papillons et rubans, nœuds et cartouches courent autour des portes et des fenêtres, ondulent le long des parois, encadrent les alcôves. Des putti et des amours, parfaitement modelés, animent ces motifs de leurs mille poses imprévues, mais toujours naturelles. Des souvenirs de l’Orient et même de l’Extrême-Orient, avec lesquels Venise était en rapports incessans, mettent des notes pittoresques. De véritables paysages égaient parfois les murs. Dans l’un des petits cabinets, il y a notamment un plafond parfaitement conservé : une Renommée aux ailes éployées s’envole au milieu d’enfans joufflus, d’animaux, de grotesques et d’attributs. L’ensemble est charmant. Voulant emporter un souvenir de ma visite, j’ai à tout hasard posé par terre mon kodak renversé ; et, comme il arrive