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ce divorce. Je l’assurai qu’en effet telle était ma pensée, « du moins (me vint-il à l’esprit d’ajouter) s’il n’y a pas dans l’affaire une autre femme. »

— Oh ! quant à cela, je suis bien tranquille ! me répondit-elle avec un sourire malicieux qui me parut étrange.

Un peu plus tard, je rencontrai Cavalcanti qui me raconta qu’il avait découvert la source de tous les cancans relatifs à Mme Feldmann et à ses richesses fabuleuses ! C’était Lisetta, la femme de chambre, qui les mettait en circulation. Il l’avait surprise racontant à la belle Génoise et à la femme du docteur de São Paulo que sa maîtresse avait une baignoire d’or massif où, chaque jour, elle plongeait son beau corps dans une eau additionnée de parfums très précieux, qui, pour chaque bain, coûtaient cinq cents francs, et que, toutes les fois qu’elle voyageait, elle avait coutume, au terme du voyage, de donner une grande fête et de faire un riche cadeau à tous les passagers.

Mais la discussion, interrompue le matin, se ralluma vers la fin du diner. Après que nous eûmes causé de notre prochaine arrivée aux Canaries, — nous devions y arriver le lendemain matin, — Alverighi, au café, demanda en plaisantant à Rosetti de lui expliquer comment il pouvait être védantiste sans le savoir. Rosetti ne se fit pas prier.

— N’est-ce pas vous qui nous avez prouvé que le Beau et le Laid dépendent de nous, de notre tempérament, de notre humeur, de notre caprice ou de notre intérêt ? Mais pourquoi limiter cette profonde vérité à l’art ? En conséquence, nous avons appliqué votre raisonnement à tous les critériums que l’on emploie pour juger les qualités des choses ; et non pas seulement si elles sont belles ou laides, mais encore si elles sont vraies ou fausses ; bonnes ou mauvaises ; donc aussi pour juger le progrès et la décadence, la civilisation et la barbarie ; et nous avons trouvé que tous ces critériums dépendent encore de nos désirs et de nos intérêts. Pas un seul d’entre eux n’est éternel, universel, impératif. Mais, s’il en est ainsi, toutes les différences que nous apercevons dans les choses et pour lesquelles nous disons que les unes sont belles et les autres laides, les unes bonnes et les autres mauvaises, les unes vraies et les autres fausses, etc., ne sont qu’apparentes, puisqu’elles dépendent d’états variables et passagers de notre conscience ; et, si ces différences ne sont qu’apparentes, le monde, en dépit des changemens que nous croyons