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voulu lui conserver, en acquérir un autre, au moins parmi ses petits bourgeois et le peuple de ses vieux quartiers, un autre hétérogène et complexe qui fait la joie des vaudevillistes, et des faiseurs de « revues ; » partout ailleurs, les centres urbains et ruraux sont des lieux d’activité ou flamande ou wallonne, en ce sens que le travail, le commerce, l’existence familiale et civique, les manifestations administratives et religieuses s’expriment à travers les formes d’une sensibilité particulière.

La langue y est pour beaucoup, bien que le français soit toujours la langue dominante. Cette universalité de l’emploi du français là même où l’on tend à remettre en honneur l’emploi du flamand, permet plus que tout de se rendre compte de la double expression nationale.

Je ne sais pas s’il est très vrai de dire que l’homme pense dans sa langue maternelle. Et il me semble abusif de donner ainsi une étiquette linguistique à une opération qui se meut dans le domaine de l’absolu. Mais on ne peut nier que l’homme sente en conformité avec la première expression verbale qu’on lui a donnée de la vie. Or cette première expression, qui lui vient de ses parens, de son milieu familial, est différente selon que nous sommes d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique. Cela est si constant que, dans les familles flamandes où la langue française est exclusivement en usage (et elles sont fort nombreuses), la sensibilité est dominée par une conception particulière de la vie et s’exprime en français d’une façon caractéristique. Ce que les puristes, les grammairiens, les hommes de thèse considèrent comme un défaut d’attention, d’instruction, ou de méthode, est, en réalité, la plupart du temps, la prédominance du vœu de la race. Je sais des gens extrêmement cultivés, ne connaissant du flamand que le grossier patois du bas peuple ou ne le connaissant même pas, et qui, invinciblement, laissent passer dans leur langage telle expression traduite littéralement du flamand, emploient un vocabulaire dont demeurent exclus cent termes en usage courant en France et où l’on en retrouve cent autres rares en France, d’un usage courant ici.

Moins cultivées, les classes moyennes, même celles où se recrutent les professions libérales, et surtout celles dont s’alimentent le petit commerce et les administrations, ont une façon de s’exprimer bipartite. Une phrase, commencée dans un français impeccable ou approximatif, s’achèvera en flamand pur