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ou populaire ; ou vice versa. Et, loin de s’en gausser ou de s’en indigner, il faut y voir une représentation naturelle, normale de la sensibilité des gens de Flandre.

La région wallonne, d’ailleurs, connaît des manifestations analogues. Mais ici le français est la langue maternelle, celle en laquelle l’âme de la race survit. Cependant, on y retrouve des expressions tirées directement du patois wallon, qui n’a point, lui, la prétention d’être une langue. Chose plus singulière, on y retrouve aussi des tournures flamandes. Or, beaucoup de Wallons n’ont jamais su parler le dialecte populaire et très peu savent le flamand. Il y a ici une transmission mystérieuse, explicable par un contact permanent à travers les siècles.

Si de la langue elle-même nous passons à l’accent, la prédominance de la double origine est plus visible encore. Y a-t-il une prononciation française impeccable ? Sans doute, et on en a dégagé la phonétique. Mais rares sont en France ceux qui en sont les servans tout à fait dociles. Le régionalisme érige même en gloire la fidélité aux accens provinciaux. En Belgique, le double accent est plus qu’un simple certificat d’origine toulousaine, marseillaise, savoyarde ou normande. Il traduit le tempérament de deux races : car il va de pair avec le langage et les mœurs.

Plus ménager de ses paroles, l’homme de Flandre tient à les proférer violemment, il les frappe à coups de gosier, il les broie avec ses lèvres, avec ses dents ; qu’elles doivent exprimer la joie ou la colère, il les claironne. Aussi les discussions ne se prolongent-elles guère, sinon en dispute. Chacun demeure sur son avis, ou passe aux voies de fait. Malhabile aux conversations galantes, l’amour s’exprime mieux ici par du silence.

Le Wallon, au contraire, voudrait multiplier les mots, leur durée, la gradation des nuances de la voix, « Causer » pour lui est une grande occupation ; il raffole des débats contradictoires, et un homme « qui jase » est vraiment un homme. Au cabaret, dans les trains, sur le pas des portes, c’est un grand concours de paroles. Quand la divergence des idées et des sentimens a été poussée à l’extrême, les gens se retrouvent cordiaux et sourians. Une querelle est à demi vidée qui a connu de longues explications. L’amour ne commence à exister qu’après mille galanteries, et malheur à lui s’il attache une valeur précoce aux tendres vocables !