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Et l’art, si intimement lié à l’expression des choses et des gens, suit une orientation analogue. La Wallonie n’a guère de peintres ni de statuaires, car elle se plaît trop aux détails et ne prend pas le temps de sentir ni de voir fortement. Ses émotions profondes sont une synthèse de mille émotions légères, superficielles, mais sincères. Des poètes les rendent parce que la musique des mots, parallèle à la musique des sons, rejoint l’harmonie supérieure de l’âme dont elle s’évertue à noter les nuances infinies. Des romanciers, des conteurs se multiplient qui racontent, comme une affaire énorme, un drame de famille, une histoire de village, une aventure de cœur. Et tout le monde est musicien et tout le monde joue d’un instrument et chante. Je connais de simples ouvriers wallons qui vibrent comme des lyres en faisant leur partie de ténor ou de baryton dans un chœur de Grétry ou de Radoux. Et ces chorales ont des noms magnifiques. Celle de mon village s’intitule » les Emules d’Orphée ! »

Le village flamand a sa fanfare, mais les instrumens à vent n’ont qu’un répertoire limité de marches et de pas redoublés, de mazurkas et de scottichs. C’est du bruit cadencé et violent. La poésie n’est pas liée à la langue usuelle. Elle a, avec sa prosodie, un vocabulaire lyrique distinct dont se rapproche la langue oratoire. Parler pour le public n’est pas un phénomène ordinaire. L’orateur surgit tout à coup du sein d’un mouvement nombreux qui le porte et le soutient comme un trépied. Qu’il enflamme, apaise ou édifie, il semble rendre des oracles. On l’écoute avec la passion de lui obéir ou de lui résister, mais sans aucun souci de lui répondre. Poètes et orateurs flamands exercent un sacerdoce, un signe sacré les a marqués. Ils prolongent la tradition des anciens aèdes.

Et les peintres flamands sont des visionnaires. Entre la lumière, les choses et eux, c’est une sorte de corps à corps. Ils pétrissent le soleil, comme le sculpteur la glaise. Peu leur importe l’intérêt du paysage, le sujet de la scène, la qualité des gens. Un tournant de rivière entre les berges, une meule de foin au soleil, une paysanne allaitant son enfant, un combat de coqs au cabaret, voilà plus qu’il n’en faut. Car il ne s’agit point de dessiner une courbe, de camper des gens, d’incarner un symbole. Cela, c’est le prétexte, l’occasion, l’exécution peut-être d’une commande. L’essentiel, c’est de recréer de la vie animale,